Colette Berthès, La Petite Fille aux ballons,
Riveneuve éditions, 2016, 284 p.
Vous connaissez ce dessin de Banksy peint sur le mur de huit mètres de haut qui tente de séparer Israël de la Palestine, ce pochoir qui représente une fillette s’envolant par-dessus le mur accrochée à des ballons ?
Ce pochoir, on le retrouve sur la couverture d’un roman − mais est-ce véritablement un roman ? − de Colette Berthès qui relate la quête de Laïla, une mère palestinienne, qui cherche à comprendre pourquoi sa fille, Amal, a choisi de se faire exploser à la terrasse d’un café israélien à une heure d’affluence, explosion qui tuera des militaires en goguette.
Vous qui m’écoutez ou me lisez, une idée pareille ne vous viendrait sans doute jamais à l’esprit. Vous n’en êtes pas là, n’est-ce pas ? Même devant un présent tellement insupportable que vous avez envie d’en finir avec l’existence, vous n’iriez pas pour autant vous immoler par le feu comme le fit un jeune Tunisien nommé Mohamed Bouazizi.
Sans doute votre révolte, votre colère, prend-elle d’autres chemins. Car votre situation, personnellement, n’est pas sans issue.
Le père d’Amal, Nidal, avait été abattu « par erreur » à un check-point, victime d’un soldat israélien qui se croyait menacé. Auparavant, Nidal avait connu la prison et, après la deuxième Intifada, il avait décidé que désormais toutes les actions qu’il mènerait contre Israël seraient non-violentes. Pour lui, cet État ne pouvait pas être détruit par les armes. Il en rêvait d’un autre, indépendant, laïque, où vivraient ensemble juifs, chrétiens et musulmans, Arabes, Russes, Éthiopiens et Druzes.
Et Laïla, dans sa quête, se demandait si Amal avait voulu venger son père...
Bravement, fièrement, Laïla attendra donc les représailles, la venue des soldats israéliens qui, comme ils en ont l’habitude après une opération kamikaze, raseront la maison de la « terroriste ». Ce qui sera fait. Puis, pour chercher à comprendre, elle tentera de retrouver le chemin suivi par sa fille…
Cette quête va l’amener à rencontrer celles et ceux que sa fille Amal a fréquentés pendant quelques semaines avant de mourir ; et cette quête, fil conducteur, va nous faire pénétrer, au quotidien, à l’intérieur de la société palestinienne, une société tout à la fois au fait de la technologie la plus moderne et cependant rétrograde, sinon traditionaliste, dans ses mœurs ; mais, en arrière-plan, se lira la vie politique et sociale du pays, enchevêtrée et étouffante.
L’auteure nous rend bien cette vie courante palestinienne dans son intimité et sa quotidienneté ; sans doute a-t-elle dû côtoyer de très près les gens qu’elle dépeint pour avoir trouvé un ton si juste. On y parle beaucoup des nourritures si particulières à ce pays, du café amer ou du thé trop sucré et des vêtements de fête, mais aussi des organisations politiques diverses. Surtout, est décrite la situation de profonde injustice que subissent les Palestiniens abandonnés par les principaux États du monde alors que les Israéliens sont largement − et essentiellement − soutenus par les États-Unis d’Amérique et par notre propre pays, la France, qui n’est pas en reste, elle qui criminalise le boycott contre Israël.
On appréciera cette plongée dans la Palestine auprès des gens du peuple, gens modestes avec leur perception simple du monde qui les entoure et qui n’ont que « la patience des pierres » face à un État pourvu de tanks, d’avions et de beaucoup d’argent.
Tout à la fin, comme dans un polar, on aura en quelque sorte la solution de l’énigme que la jeune femme a écrite sur un morceau de papier, un petit poème enfoui dans ses vêtements abandonnés, que sa mère lira avec douleur et qu’elle déchirera, jugeant qu’il n’était ni utile ni décent que tout un chacun sache les raisons profondes du martyre de sa fille.
André Bernard, chronique du 4 juillet 2016 dans l’émission « Achaïra », du cercle libertaire Jean-Barrué, sur la radio associative bordelaise la Clé des ondes.