Article paru sous ce titre dans le journal "Gardarem lo Larzac". Reconstruire des maisons détruites par l’armée israélienne est pour l’ICAHD (Israeli Committee Against House Demolitions) et pour ceux, Israéliens, Palestiniens et étrangers qui participent à ces reconstructions, une action politique de contestation de l’occupation israélienne et du cortège d’injustices et de violences qui en découle.
Dans les années 1959-1962, réfractaires à la guerre d’Algérie, dans le cadre de « l’Action Civile Non-Violente » nous avons mené collectivement une action de désobéissance civile. Volontaires pour un service civil sous contrôle international sur les lieux mêmes du conflit, nous commencions en France, en milieu maghrébin, des chantiers de paix avant d’être arrêtés et condamnés à la prison par les tribunaux militaires. En juin 2003, sur le Causse Noir, nous nous sommes retrouvés pour faire mémoire de cette action. Nous avons mis en route un livre et un film qui sont en voie d’achèvement. Lors de cette rencontre nous avons également signé une motion de soutien aux « refuzniks », militaires israéliens qui refusent d’aller dans les territoires occupés , leur action étant analogue à la nôtre. Voir rubrique. Quarante cinq ans plus tard, du 19 avril au 4 mai 2005, la participation de huit d’entre nous à Anata, en Cisjordanie (Palestine) à la reconstruction d’une maison détruite 4 fois par les autorités israéliennes a été dans la droite ligne de notre action d’alors. (Depuis, voir les nouvelles datant de 2012.)
Reconstruire des maisons détruites par l’armée israélienne est pour l’ICAHD (Israeli Committee Against House Demolitions) et pour ceux, Israéliens, Palestiniens et étrangers qui participent à ces reconstructions, une action politique de contestation de l’occupation israélienne et du cortège d’injustices et de violences qui en découle.
L’un des motifs de démolition des maisons palestiniennes, le principal, est le défaut de permis de construire et donc l’illégalité de la construction de la maison. Ce permis est cependant pratiquement impossible à obtenir : Salim et Arabiya Shawamreh, propriétaires d’un terrain, l’ont demandé à trois reprises, ont payé à cette fin (5000 $) et, devant les refus successifs, ont fini par construire leur maison : en 1998, ils en ont été brutalement expulsés, avec leurs 6 enfants. Après la quatrième démolition, la Cour Suprême a finalement suspendu le dernier ordre de démolition mais il est interdit d’habiter la maison ! C’est pourquoi, l’ICAHD en fait un centre d’accueil et de rencontres, une maison de la paix.
Notre travail consistait à finir les aménagements de la maison, reconstruite par l’ICAHD pour la cinquième fois, et à améliorer les abords : plomberie, électricité, carrelage, peinture, meuble de rangement. En juillet, des bénévoles étrangers y logeront et reconstruiront d’autres maisons palestiniennes ainsi détruites. Salim et Ahmed en permanence , des refuzniks et quelques Palestiniens, par intermittence, ont travaillé avec nous, occasion d’échanges et de rencontres. Les repas délicieux préparés par Arabiya et les « cups of tea » ont aussi contribué à la bonne entente générale.
« Beit Arabiya » (la maison d’Arabiya), dédiée à Rachel Corrie (américaine) et Noha Sweedan (palestinienne), jeunes femmes tuées lors de la destruction de maisons, est un symbole positif de résistance dans un environnement désolé : au milieu de huit maisons détruites, elle fait face à une imposante et sinistre prison israélienne et domine l’emplacement du futur mur d’apartheid que l’on aperçoit au loin.
Nous logions à la Maison d’Abraham, maison d’accueil du Secours Catholique à Jerusalem Est. Cela nous valait chaque jour pour nous rendre à Beit Arabiya, de passer par un check point et d’être témoins de brimades et humiliations .
Des visites guidées dans les camps de réfugiés de Shufat à Anata, d’Aïda à Bethléem, dans la colonie israélienne de Ma’ale Adumin et en différents points du mur ainsi que des rencontres avec des israéliens et des organismes palestiniens nous ont permis de mieux nous immerger dans la réalité de l’oppression que subissent les Palestiniens. Le constat est désolant et pessimiste : « les Israéliens n’ont même plus de haine pour les Palestiniens, ils n’existent pas, ils sont transparents pour eux ! » nous dit Jeff Halper, américain israélien, responsable de l’ICAHD. « la sécurité est leur unique problème, pas l’occupation. Israël a toujours pratiqué la politique de l’enfermement, de l’étouffement et du grignotage, du fait accompli, de l’apartheid, au mépris des règles internationales, de la justice et du Droit. La construction du mur, la multiplication des colonies selon un plan d’encerclement et les routes réservées aux israéliens en sont les signes les plus visibles. Pas de paix sans justice et sans renonciation par Israël à l’occupation. Jusqu’à présent, peu de gestes significatifs dans ce sens par le gouvernement Sharon. Si rien de neuf ne se produit, la reprise de l’Intifada semble inévitable ».
A en croire les média occidentales, le processus de paix , certes fragile, se serait à nouveau mis en route entre israéliens et palestiniens. Mais de quelle paix parlons-nous ? En réalité, le mot paix désigne deux réalités bien différentes :
Un état statique qui recouvre la plupart du temps beaucoup d’injustices. « La tranquillité dans l’ordre ». « La paix des cimetières ». « Fout-moi la paix ! » La « pax », chez les romains, c’est la paix mais aussi le pieu, le poteau fiché en terre qui indique une frontière, une limite. La « pax romana », c’est cet espace délimité au sein duquel règne l’ordre romain.
Un état dynamique qui recherche un type de rapports entre humains tendant à les réconcilier, à les unifier par une réelle fraternité. C’est un effort, une lutte pour dépasser les égoïsmes, les injustices et les conflits. C’est une œuvre à réaliser. Le Shalom biblique en est une forme : l’Alliance de paix n’est pas uniquement le contraire de la guerre, de la violence, de la haine, de la peur et de la terreur, c’est aussi de façon positive le bien être, la vie au sens large. « Dans le désert s’établira le droit, et la justice habitera le verger. Le fruit de la justice sera la paix, et l’effet de la justice repos et sécurité à jamais. Mon peuple habitera dans un séjour de paix » (Is.32,16-18)
Hélas, Israël semble avoir oublié le « shalom » biblique et mis tout son effort dans la recherche de la « pax » !
En arrivant à Tel Aviv, nous craignions d’être refoulés et nous avions pris de multiples précautions. En fait, après un interrogatoire courtois et bref, nous avons été surpris , à l’aller comme au retour, de la facilité du passage et de la discrétion de la présence militaire. Avec Marie-Claire, Claude Voron, il y a dix neuf ans, avait fait un séjour en Israël-Palestine. Il se souvient de l’accueil par une haie de soldats en armes, de l’interrogatoire soupçonneux et prolongé, de la fouille des bagages et même au corps. Aujourd’hui, rien de tel, la tranquillité et l’ordre règnent : touristes et pèlerins sont bienvenus et accueillis courtoisement ! Cette impression de « pax » dans l’ordre a semblé se confirmer dans nos premiers pas dans Jérusalem. Certes l’armée et la police étaient bien présentes, aux portes de la vieille ville en particulier, mais c’était une présence assez débonnaire. Plus de ces civils déambulant, mitraillette en bandoulière, tenant leurs enfants par la main. Sans doute à cause de la suspension des attentats suicides et avec l’élection d’Abou Mazen, l’ambiance générale, en Israël et en Cisjordanie semblait assez paisible : même à Hébron, près de la colonie extrémiste, point chaud habituellement, le calme régnait et les soldats israéliens qui gardent l’accès de la colonie se sont gentiment laissés photographier !
Nous avons bien vite vu que ce verni de « pax » s’écaillait dès qu’on le regardait de plus près et surtout qu’il était le fruit d’une injustice, d’une oppression, d’une violence structurelles qui, sournoisement et implacablement, continuaient à se développer.
Dans toute « pax », c’est le plus fort qui impose sa domination. La morgue des israéliens et leur mépris pour les palestiniens nous ont été révélés par de petits signes : la fermeture inopinée à Jérusalem, sans raison explicite, de rues, pour un temps indéterminé, ce qui oblige à de longs détours ; l’humiliation de notre chauffeur palestinien qui, à un « check point », a du subir sans broncher l’engueulade d’un « gamin soldat » de dix huit ans qui lui reprochait de s’être présenté au point de contrôle avant qu’il lui en ait donné l’ordre : le chauffeur a du faire demi tour et attendre le signe d’avancer ; à Hébron, le grillage qui protège le marché palestinien des jets de pierres venant de la colonie qui domine, ploie sous les ordures et détritus jetés par ces mêmes colons. Dans la vieille ville de Jérusalem des colonies se sont implantées au-dessus du souk palestinien, situation symbolique et stratégique de domination. Tout est signe de : « nous sommes les maîtres, soumettez—vous ! »
Ce qui nous a le plus choqué et révolté, c’est que le gouvernement d’Israël semble profiter de ce que la communauté internationale croit que le processus de paix s’est remis en route pour poursuivre sa politique d’enfermement et d’étouffement des palestiniens : le mur continue à s’implanter à grande vitesse, les destructions de maisons se poursuivent et les colonies en Cisjordanie se développent. A continuer à accroître l’injustice et la violence structurelles, « mères » des révoltes violentes des palestiniens, Israël se prépare des réveils difficiles. A ne pas vouloir s’engager sur le chemin du « Shalom », on peut craindre que la « pax » ne tiendra pas longtemps. Les palestiniens et les israéliens qui oeuvrent pour une vrai paix n’espèrent qu’en une pression internationale pour enrayer le processus mortifère.
Heureusement, signes d’espérance, nous avons rencontré des gens remarquables, des réalisations exceptionnelles, tant du côté israélien que du côté palestinien. Ils ne se font pas d’illusions sur le court terme, ils travaillent pour le long terme.
Les rencontres avec le Docteur Salim Anati, responsable du « local committe for disabled and rehabilitation » du camp de réfugiés de Shufat et avec Abdelfattah Abu-Srour responsable du centre culturel et de formation théâtrale Alrowwad du camp de réfugiés d’Aïda à Bethléem ont été des moments forts. Ils ont peu de moyens mais beaucoup de disponibilité et de générosité pour aider des enfants à s’épanouir. Leur travail est remarquable (voir « la guerre des adultes traumatise gravement les enfants » par Abdelfattah Abu-Srour dans « alternatives non-viçlentes » n°s 128-129 - 2003 - « Palestiniens et Israéliens : faire parler la non-violence »).
Nous avons aussi participé à une manifestation dans le village de Bil’in, à l’ouest de Ramallah qui résiste depuis des semaines à la construction du mur qui va les séparer de leurs terres. Manifestation unitaire et non-violente de mouvements palestiniens, israéliens et des manifestants étrangers. L’accueil de la part des militaires fut plutôt musclé, grenades assourdissantes, tir de balles en caoutchouc, gaz lacrymogènes et incapacitants. Les médias israéliens en ont un peu parlé car un député arabe de la Knesset, notamment, a été blessé et molesté. Une manifestation ordinaire, en somme !
Les pacifistes israéliens n’arrivent pas à se faire entendre par leurs compatriotes et n’espèrent que dans la pression internationale. Ils comptent sur nous, et les palestiniens également, pour faire connaître la réalité de leur situation et pour pousser nos gouvernants et ceux de l’Europe à agir.
Nous revenons de ce séjour en Israël-Palestine bouleversés par ce que nous avons vu et ressenti, conscients que notre action est dérisoire face à l’ampleur du problème. Toutefois, par notre travail, par les rencontres, des liens se sont tissés avec tous ces acteurs d’espérance, palestiniens et israéliens, qui rament dans la nuit à contre courant et qui ont soif de notre reconnaissance. Saurons nous répondre à leurs attentes et donner suite à ce séjour ?
Robert Siméon et Claude Voron