Le projet de la la Maison de l’amitié franco-maghrébine. Qu’en advint-il ?
Suite du témoignage de François Vernier de février 2004. Durant ces mêmes années (1959-1960), un manifeste signé d’écrivains, d’hommes célèbres et de croyants de toutes philosophies ou religions fut lancé en France, avec une souscription nationale pour recueillir des fonds destinés à la construction d’une Maison de l’amitié franco-algérienne. Cette maison, symboliquement située tout près du camp d’assignation des Algériens à La Cavalerie, serait un signe de protestation et d’espérance en face de la guerre d’Algérie. Maurice Pagat, instigateur de ce projet, fut chargé de prospecter le lieu et de mettre en œuvre cette idée. Avec les fonds recueillis, le château en ruine de Saint-Véran fut acheté. Saint-Véran est un vieux village de la vallée de la Dourbie, rivière entre Millau, le plateau du Larzac et le Causse noir. Le déblaiement des ruines et le début des travaux de remise en état furent entrepris aussitôt. Des bénévoles millavois y participèrent et des camps de travail de volontaires venus de toute la France furent organisés par Maurice Pagat. L’indépendance de l’Algérie fut conclue bien avant la fin des travaux, et cette Maison de l’amitié franco-algérienne ne fut jamais ouverte ! Qu’en advint-il ? Il en est hélas trop souvent ainsi. On ne sait pas bien ce que deviennent les entreprises parties d’un beau sentiment mais qui finissent sans résultat et dans l’oubli. La motivation de l’origine de cette Maison s’éteignait avec la fin la guerre, alors que cette construction aurait pu être encore plus le symbole et le lieu de rencontre pour une amitié à rebâtir. Par la suite, Maurice Pagat fut l’initiateur de la création du syndicat des Chômeurs, autre belle cause ! |
Geneviève Coudrais nous en dit plus
LA MAISON DE LA PAIX DE SAINT-VERAN OU L’ANTI-LARZAC
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L’Action civique non-violente a fait ses premiers pas devant le centre d’assignation à résidence surveillée du Larzac, appellation édulcorée pour ne pas alarmer les Français, s’agissant d’un camp d’internement administratif, ou « camp de concentration » (article publié dans Témoignages et Documents, n° 19, du 19 décembre 1959).
François Vernier, dans son témoignage de février 2004 (voir rubrique) a relaté ces premiers pas de protestation contre l’internement administratif, c’est-à-dire l’enfermement sur simple décision administrative, sans aucune garantie notamment judiciaire, de personnes « suspectes », sans motif révélé et pour une durée indéterminée, autant dire l’internement arbitraire.
A cet égard, il n’est pas sans intérêt de rappeler qu’outre les camps d’internement administratif existant en Algérie en application de la loi du 16 mars 1956, dite « des pouvoirs spéciaux » (sans compter les camps de regroupement qui ont concerné environ un million d’Algériens), de tels camps d’internement administratif ont été étendus à la « métropole » par ordonnance du 7 octobre 1958.
En février 1961, on comptait environ 5000 Algériens ainsi détenus arbitrairement dans les camps de Vadenay (Marne), Thol (Ain), Saint-Maurice-l’Ardoise (Gard) et Larzac (Aveyron), environ 3000 personnes.
Ces manifestations ont été suivies au mois de juillet par une « lettre ouverte » au ministre de l’Intérieur pour réclamer la suppression de tels camps ou alors l’internement des signataires de la lettre avec les suspects détenus. Suivies également de neuf jours de jeûne par quatre personnes, à La Cavalerie, commune qui jouxte le camp du Larzac.Voir rubrique.
Parmi les protestations contre l’existence de ce camp, et mentionnées par François Vernier, il y avait « un manifeste signé d’écrivains, d’hommes célèbres et de croyants de toutes philosophies ou religions fut lancé pour recueillir des fonds destinés à la construction d’une Maison de l’amitié franco-algérienne ».
C’est ainsi qu’au mois de février 1960, Maurice Pagat, directeur du journal clandestin Témoignages et Documents, sous-titré « le Journal qui publie les textes saisis et censurés » (relatifs à la guerre d’Algérie), pouvait annoncer dans ce journal (n° 21) la création de la Maison de la paix – Dar el Salam – au service de l’amitié franco-maghrébine, en ces termes :
« Près du camp d’assignation à résidence surveillée du Larzac où sont détenus 3000 Algériens, nous venons de faire l’acquisition au village abandonné de Saint-Véran de plusieurs bâtiments qui sont destinés à l’organisation d’un centre de séjours et de rencontres au service de l’amitié franco-maghrébine.
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« En installant cette maison en face du camp du Larzac, dans les gorges de la Dourbie, nous avons voulu protester contre l’existence des centres d’assignation à résidence surveillée et susciter une campagne en faveur de leur suppression. Nous avons voulu aussi témoigner notre solidarité envers les Algériens arbitrairement détenus et contribuer à réparer le tort causé à l’amitié franco-algérienne, par la création de ces camps, en opposant à ceux-ci, dès maintenant, une réalisation dont la mission permanente sera de développer les relations d’amitié, les échanges et les confrontations entre Algériens, Tunisiens, Marocains et Français.
« Nous croyons, en effet, qu’à côté des formes juridiques et politiques de notre combat pour le respect des droits de l’homme et pour la décolonisation, il existe aussi une tâche éducative et culturelle que nous n’avons pas pleinement remplie. Si le racisme a pu se développer, y compris dans une partie de la classe ouvrière, si l’opposition du peuple français à la guerre d’Algérie a été aussi limitée, c’est parce que les Français n’ont pas été suffisamment préparés à entrevoir de nouveaux rapports avec les peuples d’Asie et d’Afrique, c’est aussi parce que nous n’avons pas su créer de nombreuses et fraternelles relations entre militants français et militants des pays en lutte contre la colonisation. »
Le numéro 23 du mois de mai 1960 de Témoignages et Documents consacrait la totalité de sa dernière page à « SAINT VERAN OU L’ANTI-LARZAC », relatant divers encouragements manifestés, notamment celui de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) qui, de Tunis, envoyait le message suivant :
« Nous vous félicitons très vivement pour cette initiative magnifique en faveur de l’amitié entre les peuples d’Afrique du Nord et le peuple français et nous vous souhaitons de tout cœur une pleine réussite. »
Il en était déduit que « malgré la guerre qui se prolonge, l’affirmation par des actes concrets de notre amitié avec le peuple algérien constitue un premier pas vers l’apaisement et la réconciliation, conditions nécessaires d’une paix durable ». Et il était fait appel aux aides financières nécessaires et à des volontaires pour travailler pendant les vacances d’été.
Plusieurs centaines de personnes sont venues participer à la restauration des bâtiments de la Maison de la paix de Saint-Véran jusqu’à l’été de 1962 compris. Dans le n° 35 de février 1962 (juste avant les accords d’Évian), il était encore fait appel à des volontaires, en ces termes :
« Les chantiers sont ouverts à tous, garçons et filles ; jeunes et moins jeunes y sont fraternellement accueillis. Ils constituent une école d’esprit communautaire et de fraternité internationale. Le travail manuel y est parfois rude, mais il est utile d’apprendre à servir son idéal, non seulement par des paroles mais aussi avec la pelle et la pioche ! Les chantiers font disparaître la conception bourgeoise et méprisante du travail manuel, ils contribuent à rapprocher, dans un effort commun et dans une ambiance joyeuse et fraternelle, intellectuels et ouvriers européens et africains ; ils préfigurent enfin le grand service civil qui, demain, devra remplacer le service militaire.
« La paix en Algérie ne naîtra pas seulement de l’accord gouvernemental pour le cessez-le-feu. Il faut se préparer aux tâches de la coopération. Ce sont par milliers que les jeunes Français devront s’inscrire comme volontaires pour participer aux côtés des jeunes Algériens, à la reconstruction des villages détruits par la guerre, aux travaux d’irrigation et de reboisement. »
C’est à ce dernier appel que j’ai répondu, à 18 ans, ayant eu la chance et le privilège depuis plus d’une année, de prendre connaissance de numéros de Témoignages et Documents, sous le manteau, comme il se devait à l’époque…Et je n’ai pas été déçue !
Certes, la signification du chantier n’était plus alors la même puisque, entre temps, les accords d’Evian avaient été conclus (18 mars 1962) et que le président de la République française d’alors, le général de Gaulle venait de reconnaître l’indépendance de l’Algérie par déclaration du 3 juillet tandis que l’Algérie elle-même, la proclamait officiellement.
Le chantier n’en était pas moins maintenu pour affirmer l’amitié entre nos peuples et faire de cette maison un futur centre de vacances pour les jeunesses algérienne, tunisienne, marocaine et française.
J’y ai rencontré des gens de tous âges et de tous horizons, dans l’ambiance joyeuse et fraternelle promise et j’y ai appris à vivre en communauté. J’ai travaillé certes durement parfois mais avec plaisir. Je traînais discrètement partout où il y avait des discussions politiques, toujours autour de Maurice qui me paraissait un vieux sage expérimenté (il avait 34 ans ! comme Jo Pyronnet à cette époque), et je les écoutais avec avidité pour parfaire la petite instruction politique toute neuve qui était la mienne. J’étais passionnée par les débats qu’il engageait après le dîner et qui, outre leur richesse, me donnaient des grilles de lecture politique éclairantes.
J’ai participé aux veillées autour du feu, rythmées par les guitares et j’ai chanté le Déserteur, Avanti populo et autres chants engagés.
Dans un film de Jean-Noël Delamare, La Maison de la paix, Maurice dit, à juste titre, que les participants à ce chantier se rappellent ces années de Saint-Véran toujours avec émotion et ont gardé une nostalgie profonde de ce qui était un peu magique pour eux, qui les a tous marqués profondément.
L’année suivante, j’ai rejoint le chantier ouvert par Maurice, à Stora (près de Skikda) pour sceller l’amitié entre nos peuples et fêter le premier anniversaire de l’indépendance. J’y ai découvert des Algériens sans haine pour les « Français de France » contre lesquels ils n’avaient aucune rancune, considérant qu’ils n’avaient laissé faire que parce qu’ils ne savaient pas ce qu’eux-mêmes enduraient. J’ai été reçue avec l’hospitalité dont savent faire preuve les Algériens et vécu de grands moments avec les fêtes de l’Indépendance. Nous devions ériger également en Algérie, une Maison de la paix, jumelle de la française, mais je crois bien que, hélas, elle n’a pas dépassé les premiers fondements.
Maurice a maintenu la Maison de la paix à Saint-Véran jusqu’en 1967, si ma mémoire est fidèle, date à laquelle il a accepté de renoncer car elle n’intéressait plus personne. Telle est la réponse que je puis apporter, tardivement, à François Vernier qui se demandait ce qu’était devenue cette Maison de l’amitié franco-algérienne, relevant que « la motivation de l’origine de cette Maison s’éteignait avec la fin de la guerre, alors que cette construction aurait pu être encore plus le symbole et le lieu de rencontre pour une amitié à rebâtir », comme l’avait souhaité Maurice.
Il n’y avait plus alors d’association, et Maurice a vendu la maison, investissant l’argent dans une autre maison, d’abord à Sainte-Enimie, destinée, je crois, à des drogués. De maison en maison, il a fini, après moult péripéties, avec les « maisons de chômeurs », après avoir créé le premier syndicat de chômeurs (« Partage »).
Et, pour ma part, je rappelle qu’en 2005, plusieurs d’entre nous ont participé, ainsi que nous l’avions convenu lors de notre rencontre (2003) sur le Causse noir, à la quatrième reconstruction d’une maison palestinienne quatre fois détruite par l’armée israélienne, Maison de la paix destinée à héberger les internationaux venant l’été reconstruire certaines maisons ainsi détruites. Cette Maison de la paix a été à nouveau détruite le 23 janvier 2012 (pour plus d’informations voir : http://www.france-palestine.org/La-cinquieme-destruction-de-la) avec sept autres. (Voir aussi sur notre site rubrique.)
La détention administrative existe toujours et est pratiquée à une grande échelle par Israël à l’encontre des Palestiniens : actuellement, plus de trois cents prisonniers politiques palestiniens sont ainsi détenus sans accusation ni procès. Elle vise à emprisonner les Palestiniens de tous âges et de tous sexes et de toutes conditions, tous « suspects », pendant des périodes de six mois indéfiniment renouvelables. Les autorités militaires israéliennes ont ainsi édicté plus de 20000 ordres de détention depuis l’année 2000. Et la protestation contre cette forme de détention constituait un des principaux motifs de la grève de la faim menée par environ 1500 prisonniers pendant un mois (et pour certains jusqu’à deux mois et demi) à laquelle il a été mis fin par un accord conclu le 14 mai 2012, non respecté depuis.
Je vous rappelle, à cet égard, la campagne de parrainage de prisonniers politiques menée par l’AFPS (http://www.france-palestine.org/Parrainer-un-e-prisonnier-e), démarche de solidarité qui vise, non seulement à soutenir des prisonniers mais également à sensibiliser sur cette question en France et mettre leur situation en lumière. Et la boucle sera bouclée.
Geneviève Coudrais