Stock, 2010, 364 p.
Subjectivité et illégalisme chez les désobéisseurs
Il y a des livres que l’on a en main et que l’on n’a pas trop envie de lire, sans trop savoir pourquoi : on craint le « déjà lu » ; la typographie n’est pas engageante.
Bon ! Mais on y va quand même dans la lecture et, très rapidement, on se dit : « Oh ! Il est quand même pas mal, ce bouquin ! »
Oui, c’est le cas de ce Désobéissance éthique, « éthique », sans doute pour ne pas employer le terme de « désobéissance civile ».
Le lecteur trouvera là quasiment − je dis bien quasiment −, de A à Z, tous les cas de désobéissance civile que l’on dénombre ces dernières années :
A. Alain Refalo donc, et Bastien Cazals, et quelque 3 000 « désobéisseurs », des enseignants qui, en novembre 2008, refusent « en conscience » d’appliquer les directives de leur ministère, c’est-à-dire les nouveaux programmes imposés sans concertation, les évaluations réclamées, etc.
On pourra consulter le livre d’Alain Refalo, En conscience, je refuse d’obéir. Résistance pédagogique pour l’avenir de l’école, Éditions de îlots de résistance, 2010.
Et aussi celui de Bastien Cazals, Je suis prof et je désobéis, Éditions Indigène, 2009.
B. Base élèves : c’est l’établissement d’un fichier national auquel refusent de collaborer encore des enseignants ; fichier sur les enfants, dès leur plus jeune âge, à la recherche de leurs comportements déviants et qui donneraient des renseignements sur leur nationalité, leur langue et leur culture d’origine, leurs résultats scolaires, leur santé, etc. En bref, des enseignants refusent d’être des auxiliaires de police.
On pourra consulter le site de la Ligue des droits de l’homme de Toulon.
C. Comme conscience. Eh oui, il semble que la référence des désobéisseurs soit là, dans une certaine conception de la morale, dans quelque chose de tout à fait subjectif, de relatif. Mais c’est une conscience chatouilleuse qui s’appuie aussi sur le droit, sur les droits nationaux et sur le droit international. Il s’agit de contester « l’État de fait » pour lui préférer « l’État de droit » qui devrait défendre l’intérêt général et non pas les intérêts particuliers.
D. Comme désobéissance, civile ou civique. Comme « désobéisseur » ou « désobéissant ». Et ça continue jusqu’à Z.
Entre autres points abordés dans ce bouquin, on trouve une critique des syndicats qui, à quelques exceptions près, n’apportent pas leur soutien aux désobéisseurs parce que ces derniers sont délibérément illégalistes et que les syndicats, eux, collaborent plutôt avec le pouvoir, dans la légalité, à seule fin de voir reconnue leur représentation.
Par ailleurs, ces syndicats reprochent aux désobéisseurs une action individuelle, sans vouloir reconnaître que cette action a pour cause leur propre inaction ; et que cette action individuelle a pour vocation de devenir collective.
Il est donc question des faucheurs d’OGM, des déboulonneurs de pub, du réseau Éducation sans frontières, des militants de Droit au logement, des infirmières qui refusent la productivité, des guichetiers de La Poste qui ne veulent pas plumer l’usager, des insoumises de Pôle Emploi qui contournent, bidouillent souterrainement et refusent de faire de la délation.
Car, pour ce gouvernement, il s’agit, en fait, de détricoter les services publics et, sous le prétexte d’en « moderniser » le fonctionnement, de les livrer au privé. Comment s’opposer à ce tsunami libéral ?
Dans ce bouquin, il est même question des policiers qui refusent de faire du chiffre ou qui préviennent, la veille, les familles qu’ils vont rafler au petit matin.
Il est question des magistrats qui ne désobéissent pas à la loi mais qui désobéissent à l’interprétation de la loi que le pouvoir veut imposer ;
il s’agit des agents EDF qui rétablissent le courant aux plus démunis : on les nomme les Robin des bois de l’énergie.
Il est question des agents forestiers qui par le « martelage » défendent la forêt contre les marchands de bois qui par leur avidité aux gains risquent de troubler les cycles de reproduction naturels.
Et puis il y a ceux qui entrent en résistance pour défendre une petite plante rare, la nivéole, contre des initiatives de plantation prises en dépit du bon sens.
Et puis il y a le collectif des 39, des psychiatres contre la nuit sécuritaire.
Et puis il y a les chercheurs scientifiques qui ont sans doute échoué dans leur combat mais qui continuent à chercher… Quoi ? Des moyens de résistance.
Il s’agit aussi de résistance sémantique, à développer au niveau du vocabulaire particulièrement massacré par le petit homme au pouvoir et qui détourne le sens des mots : réforme, immobilisme, autonomie, idéologie, charges sociales, modernisation, etc.
C’est un livre militant, combatif avec des documents en annexes.
André Bernard, chronique du 24 mars 2011 dans l’émission « Achaïra », du cercle libertaire Jean-Barrué, sur la radio associative bordelaise la Clé des ondes.