Dès leur arrivée à Brignoles, les Objecteurs de Conscience ont été conscients de l’ambiguïté où les plaçait leur incorporation dans la Protection Civile. Si les services de secours représentent la tâche essentielle de cet organisme en temps de paix, reste qu’il lui incombe en temps de guerre une place importante dans le "système de Défense nationale". Ils ont cependant accepté cette ambiguïté au même titre que la loi du 21/12/63 (dite statut des Objecteurs de Conscience) qui, faisant référence aux articles 38,39 et 40 de l’ordonnance du 7/1/59, les place juridiquement sous "statut de défense". Leur but a été de travailler à la création d’un véritable service civil, sur la base des possibilités offertes, en luttant pour l’indépendance par rapport aux corps de défense de la Protection Civile, et contre l’application des dispositions prévues par l’ordonnance de janvier 59.
Certaines garanties ont été acquises en ce sens lors des entretiens préparatoires entre les cadres de la P.C. et O.C. en juin 64 . Elles se sont en fait trouvées progressivement compromises jusqu’à l’arrivée le 3/12/64 d’un règlement de discipline, version édulcorée du règlement militaire, qui faisait des objecteurs les premiers civils à supporter les dispositions des lois de militarisation générale, et privant du même coup d’un ensemble de droits jugés par eux essentiels.
Ils ont exprimé publiquement leur désaccord lors de la lecture du règlement et ont adressé au Préfet Raoul, directeur de la P.C. la lettre dont on trouvera le texte ci-joint.
Quelques semaines après on veut nous imposer la titularisation des chefs d’équipe en "caporaux", ce qui suscite une réaction, vu la signification que cela prenait dans le cadre du règlement appliqué.
Mais le 16/2/65, nous avons reçu la visite au camp du Préfet Raoul venu spécialement pour examiner avec nous la question du règlement. Il a reçu pendant deux heures une députation composée de 3 d’entre nous accompagnés des avocats : maîtres STIBRE et de FELICE, en présence du Colonel BELTRAMELLI, Chef d’Etat Major de la P.C. et de M. BEFORT, Directeur de la P.C. du Var.
L’entretien a pris un tour fort positif. Un projet de règlement, un rapport sur l’instruction et une liste de doléances plus particulières ont été remis à M. Raoul qui, dans l’ensemble, les a accueillis favorablement, et nous communiquera par l’intermédiaire des avocats un nouveau projet de règlement avant promulgation.
Les points essentiels soumis à l’approbation du préfet ont été les suivants :
1) Liberté d’expression et de participation aux mouvements de notre choix. Acceptée avec les réserves suivantes :
– a) on peut écrire des articles mais on est prié de ne pas faire suivre sa signature de la mention du service qu’on accomplit/
– b) on peut à titre personnel faire partie de mouvements, mais on est prié d’éviter les manifestations dans le périmètre proche de Brignoles.
2) Principe du conseil de responsables élus.
3) Principe du conseil de discipline composé à nombre paritaire de représentants élus et de cadres, sous la direction du chef de corps. Ce conseil sera seul habilité à donner des sanctions qui consisteront en permanences supplémentaires. Au cas où le fautif refuserait d’accomplir cette permanence, son cas ferait l’objet d’un nouvel examen avant que ne puisse être déclaré un refus d’obéissance justifiant un recours aux tribunaux militaires.
4) Organisation de stages de formation. Participation plus active et variée aux activités de secours (secours routier ; service ambulancier ; hospitaliers ; protection des forêts ; protection sur les plages), intervention de techniques qualifiés pour la marche des travaux au camp (architecte, chef de travaux…).
5) Libertés culturelles, subventions…
Il a été entendu qu’en attendant la mise au point d’un nouveau règlement, l’ancien resterait en vigueur, mais ne serait pas appliqué autrement qu’il ne l’avait été jusqu’à présent.
La publication récente de notes de service concernant la réglementation des sorties est apparue comme une violation de ce contrat. M.Beltramelli a fait valoir qu’il s’agissait là d’une question indépendante du règlement, qu’il n’était pas question de réprimer nos sorties mais simplement d’être en règle pour les assurances. En fait les assurances fonctionnent suivant les dispositions du règlement (ainsi les cadres, soumis à un règlement différent de celui des appelés, n’ont pas besoin de permission de nuit pour être assurés). Dans le cadre de l’ancien règlement, les assurances ne peuvent peut-être fonctionner que suivant les dispositions actuelles. Reste que nous ne saurions qu’elles soient mentionnées avec le nouveau règlement. Elles procèdent en effet du statut de défense que nous ne voulons pas nous voir appliqué et font échec au principe d’un véritable service civil où, hors des heures de travail et de permanence, l’homme serait libre de ses activités. Le souci de faire aboutir le dialogue sur ce point a inspiré parmi nous des attitudes diverses :
– a) certains ont jugé préférable d’accepter les nouvelles dispositions afin de ne pas compromettre le dialogue, spécifiant auprès du préfet qu’ils le faisaient uniquement compte tenu des nécessités du règlement instauré dans un système de sorties libres.
– b) d’autres ont jugé préférable d’enfreindre les dispositions nouvelles, ce qui a valu à l’un d’entre nous 25 jours de consigne. Dix autres se sont mis en consigne volontaire.
Le problème se reposera pour tout le camp le 15 avril, jour où s’achève la consigne, si d’ici là nous n’avons pas reçu de réponse de la part du préfet à qui nous devons écrire.