Le regroupement au camp de Mauzac
A partir d’octobre 1962, tous les réfractaires qui n’ont pas encore fait leurs trois années obligatoires (armée et/ou détention) se retrouvent au camp de Mauzac.
Situé dans le canton de Lalinde, il se trouve à une trentaine de kilomètres à l’est de Bergerac, en Dordogne. En 1939, des baraques-dortoirs sont aménagées pour des ouvriers participant à la construction d’une poudrerie locale. Parmi eux de nombreux républicains espagnols rattachés au 652e Groupement de travailleurs étrangers.
Le repli à Périgueux des tribunaux militaires de Paris rend nécessaire la création d’une prison d’une capacité d’au moins 600 places. L’un des cantonnements d’ouvriers de Mauzac (camp Nord) est transformé en camp de prisonniers. Ainsi naît, début novembre 1940, la prison militaire de Paris repliée à Mauzac. Y sont internés des déserteurs, insoumis, communistes, gaullistes et droits communs. La plupart des premiers écroués est issue des prisons parisiennes du Cherche-Midi et de la Santé, repliées en juin 1940 via le camp de Gurs (Basses-Pyrénées).
Le 2 mai 1945, la prison militaire de Mauzac passe sous contrôle du ministère de la Justice et devient centre pénitentiaire, puis centre de détention. De 1940 à 1971, outre les prisonniers de droit commun, des milliers de prisonniers d’opinion sont incarcérés à Mauzac. Pour eux, le choix est le suivant : obéir à sa conscience ou se renier, collaborer ou résister, laisser faire ou s’engager, se soumettre ou lutter.
En octobre 1962, les accords d’Evian sont signés depuis six mois, l’indépendance de l’Algérie est acquise depuis le 1er juillet. À cette époque, les réfractaires à la guerre d’Algérie et autres objecteurs terminent leur peine en prison, disséminés à travers la France. Le 8 octobre, le ministre de la Justice, Edmond Michelet, propose le regroupement des « objecteurs » au camp Nord de Mauzac afin de les faire bénéficier d’un régime libéral et d’un travail à l’extérieur.
Le camp Nord venait d’être libéré, en mai 1962, des prisonniers politiques algériens (MNA) qui l’occupaient jusqu’alors. Le 17 octobre 1962, près d’une soixantaine d’« objecteurs » sont déjà à Mauzac, pour la grande majorité des témoins de Jéhovah, ce qui amène le journal Liberté (Louis Lecoin) à écrire : « Les portes des prisons se sont ouvertes devant les objecteurs. » Fin décembre 1962, ils sont quatre-vingts, dont une dizaine se réclame de l’ACNV.
Pour ceux qui y feront un séjour de quelques mois, on parle cependant de prison, même adoucie. Les « objecteurs » sont concentrés dans un seul baraquement partagé en deux dortoirs de quarante détenus (un lit et un casier par détenu). Un bâtiment annexe est utilisé la journée pour quelques activités. Il y a un terrain de volley et un terrain de basket-ball. La plupart des détenus étudient (sur leurs lits). Quelques « objecteurs » sont affectés aux travaux courants (buanderie, cuisine, vaisselle) ou à l’entretien des bâtiments.
En juillet 1962, le général de Gaulle qui avait fixé la durée de détention à cinq ans maximum, alors qu’elle était illimitée avant son retour au pouvoir en 1958, la ramène à trois ans. Quelques « objecteurs » sont rapidement libérés. Ultérieurement, les « non-violents » et une partie des témoins de Jéhovah seront détachés sur des chantiers locaux. Le statut étant voté en décembre 1963, les « non-violents » gagnent Brignoles, pris en charge par la Protection civile.
Les témoins de Jéhovah refusant cette solution restent à Mauzac puis partagent le camp avec des prisonniers appelés « correctionnels ». Leur régime est par ailleurs ramené à celui de droit commun (suppression des transistors, etc.). En 1971, le camp Nord est définitivement fermé. Au total, du 17 octobre 1962 au 27 février 1971, 221 « objecteurs » y ont été écroués. Non loin du camp Sud (toujours en fonctionnement), un centre de détention modèle est construit et inauguré en 1986.
Sources : Jacky Tronel, qui prépare un ouvrage sur les prisonniers du camp de Mauzac (Extrait de notre livre)
10 octobre 1962
C’était, entre autres, pour protester contre l’envoi illégal en Algérie de Christian Fiquet que Alain Corbineau avait renvoyé son livret militaire en février 1961, après un mois de prison pour s’être solidarisé avec Christian. Aujourd’hui, Alain est jugé à Aix-en-Provence pour ce renvoi. Il est brillamment défendu par Me Gasparri, du barreau de Marseille. Après un court délibéré, le Tribunal rend sa sentence : un mois de prison avec sursis, 200 NF d’amende. On peut lire dans les attendus : « Qu’au surplus, l’idée par lui défendue paraît avoir triomphé même auprès du Gouvernement, qui a déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, un projet de loi relatif au statut des objecteurs de conscience... »
17 octobre 1962
Georges Humbert est jugé pour la seconde fois, pour avoir refusé de reprendre son fascicule de mobilisation. En novembre 61 il avait été condamné à 600 NF d’amende, pour le simple renvoi de son livret. Devant un Tribunal attentif, il a pu exprimer le sens de son geste, souligné d’autre part par ses témoins, Daniel Parker et le Dr Jean Marchal. Son défenseur, Me Courrégé, a mis en valeur l’évolution de la loi marquée par la possibilité d’un service civil à la suite du jeûne de Louis Lecoin en juin dernier. Georges Humbert a été condamné à 600 NF d’amende, confondus avec la peine précédente.
18 octobre 1962
Jugement à Marseille de Jean Lagrave et de Marcel Hladik. Jo Pyronnet témoigne pour Jean, Guy Humbert-Droz pour Marcel.
Me Delaby et Me Germaine Poinsot-Chapuis déploient tout leur art à montrer la signification de ces « refus », leur valeur positive en vérité. Mais le Tribunal est de pierre, ou plutôt de papier : la Loi écrite est sa seule vérité. Deux ans à l’un, deux ans à l’autre. Transfert à Mauzac.
19 octobre 1962
Robert Siméon et Eric Pot sont transférés au camp de Mauzac, en Dordogne.
24 octobre 1962
Gilbert Schmitz arrive à son tour à Mauzac avec un convoi de 28 détenus du nord et de l’est de la France. Voir ci-contre la coupure de Liberté sur les conditions de transport.
26 octobre 1962
Procès de Didier Poiraud à Lyon. Trois témoins viennent apporter de nombreux éléments à la Justice, notamment sur le problème du chrétien devant les armes de destruction massive. Me Gueugniaud, du barreau de Lyon, fait une plaidoirie franche et directe qui contraste avantageusement avec le réquisitoire théâtral et démesurément long. Le Tribunal est très ouvert et essaie vraiment de comprendre. Un an de prison et transfert à Mauzac en décembre.
28 octobre 1962
Procès à Marseille d’Antoine Robini pour le renvoi de son livret militaire : 2 mois de prison avec sursis. (Deux ans après, il a fait deux jours à la prison de Draguignan car il avait refusé de payer les frais du procès.)
2 novembre 1962 Jean-François Besson renvoie sa feuille de route. Instituteur à Renaison (Loire), membre des Equipes enseignantes, Jean-François a 23 ans et il est marié. Dès juillet, il écrivait au directeur du Recrutement afin de l’informer de sa décision de renoncer à son sursis, ainsi que de sa volonté de servir son pays dans un organisme civil. En renvoyant sa feuille de route qui le convoque, il écrit au même Directeur : « Au moment où nous envisageons très lucidement une force de frappe avec fusées et armements atomiques... la guerre devient de plus en plus, non pas une école d’héroïsme, mais le fait d’une peur et d’une démission collective. « ... Je pense que nous ne pourrons sauver la jeunesse du désespoir représenté par la perspective d’un suicide mondial qu’en lui proposant à côté du service militaire, un service civil où elle emploierait toutes ses énergies à des actes vraiment positifs... « ... Je rejoins le chantier de l’Action civique non violente qui me permettra de réaliser dès maintenant ce service. » |
7 novembre 1962
André Bernard est transféré [de l’Étape] aux Baumettes, puis à la caserne Audéoud, à Marseille. Il attend son troisième jugement avant d’aller retrouver les copains à Mauzac. (Finalement, il n’ira pas à Mauzac puisqu’il sera réformé mi-janvier 1963.)
8 novembre 1962
Procès d’Yves Bel. D’une lettre de Michel, nous tirons quelques passages :
« ... Yvon apparaît, un peu pâle et amaigri, mais toujours aussi doux, souriant et détendu. Exposé des faits avec beaucoup de compréhension de la part du Président. Trois témoins : le Directeur du Chantier de Marseille, le Père Seillant et enfin Simone Pacot, si humaine et attachante, très écoutée par tout le Tribunal. Réquisitoire modéré, Me Vidal-Naquet assure la défense bien comme il faut. 18 mois d’emprisonnement, pour Marseille ce n’est pas mal. »
Et Yvon se retrouve à Mauzac. Dans la Lettre n° 20 de l’ACNV, on peut lire :
« Merci à tous ceux qui ont écrit à l’occasion de ce procès. L’avocat d’Yvon nous a dit avoir été retourné par le nombre de lettres qu’il a reçues et qui l’ont poussé à approfondir cette affaire. »
Yvon lui-même raconte, des années après, à propos de son procès :
« Le président lit le rapport du psy qui peut se résumer ainsi : « Sourit tout le temps, ce qui prouve qu’il est sûr d’avoir raison. » Malheureusement, quand le président me demande les raisons de mon refus, je bafouille maladroitement que c’est contre la bombe nucléaire. La guerre d’Algérie étant finie, on ne pouvait plus dire qu’on refusait de la faire et j’avais accepté cette idée que me soufflait l’ACNV. Mais comme elle n’était pas de moi, je ne la sentais pas vraiment. [...]
Ce n’est que longtemps après que j’ai su que la vraie raison de mon refus, c’était de sortir de prison mes copains non violents et les autres objecteurs en étant avec eux et ainsi d’enfoncer le clou pour avoir un jour un statut pour ceux qui viendraient plus tard. »Sources : notre livre.
18 novembre 1962
Philippe Girodet, de Saint-Etienne, rejoint l’action. Il était étudiant au Chambon-sur-Lignon et il a 21 ans. Il entre aujourd’hui dans l’équipe de Marseille et écrit au commandant de la Base aérienne 125, à Istres :
« ... Je suis pleinement conscient de la gravité de ma décision et accepte toutes les conséquences qu’entraîne mon acte. Toutefois, ne voulant pas présumer de mes forces dans le cas où mon sort serait la prison, je pose mon acte pour une durée minimum d’un an. »
Décembre 1962
Première libération
André Féret est libéré ! Le Ministère (Guerre ou Justice ?) ayant considéré que son année de service militaire équivalait à une année de prison (!) cela le mène au total de trois années imposé par la législation actuelle.
Jean Lagrave et Christian Fiquet qui sont dans une situation analogue commencent à rêver de liberté...
Didier Poiraud est transféré à Mauzac.
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13 décembre 1962
Accompagnement de Jean-François Besson et de Philippe Girodet
Jean-François Besson et Philippe Girodet se constituent prisonniers à Roanne. Un groupe de 70 personnes les accompagne en silence à la gendarmerie. Mais les gendarmes ne veulent pas de ces étranges délinquants et les informent qu’aucun avis de recherche n’est encore lancé contre eux. Jean-François et Philippe travaillent maintenant sur un chantier à Lyon en attendant que les autorités viennent elles-mêmes les arrêter. Voir groupe de Roanne