8 juin 1962
Arrestation sur le chantier
Yves Bel est arrêté sur le chantier et emmené à la caserne d’Aurelle à Marseille.
Du 1er au 22 juin
Le chantier de Marseille, qui consiste à aménager un centre d’accueil pour d’anciens harkis, se poursuit et se poursuivra tout l’été. Jacques Drouet en assure la direction. Des amis, pendant leurs vacances, viendront renforcer son équipe.
L’affaire Lecoin retient toute notre attention. Nous la faisons connaître et nous invitons tout le monde à écrire aux « autorités » pour appuyer ce geste admirable. Beaucoup répondent à cet appel et entrent en action.
« Nous ne pouvons que saluer sa courageuse action et faire tout ce qui est en notre pouvoir pour qu’il aboutisse le plus rapidement possible. Il nous met à tous l’épée dans les reins. À l’appui de cette action, des démarches faites auprès des parlementaires ou des officiels dans chaque ville pourraient être d’une grande efficacité. Signataires, responsables, sympathisants, pourriez-vous consacrer un moment à ce travail ? »
(Extrait de la Lettre de l’ACNV, n° 18, juin 1962)
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La grève de la faim de Louis Lecoin C’est une histoire parallèle à celle de l’Action civique non violente. Pour en savoir plus, nous renvoyons le lecteur à la biographie que le « P’tit Louis » publiera pour dire son long parcours de militant pacifiste et anarchiste. Il s’agit du Cours d’une vie.
Ainsi, afin d’obtenir la libération de tous les emprisonnés qui refusent le service militaire pour quelque raison que ce soit, et après avoir eu des promesses gouvernementales, non tenues, Lecoin entreprend une grève de la faim à mort. Elle durera du 1er au 22 juin 1962, date à laquelle il obtiendra des garanties. Mais de ces promesses à leur réalisation il s’écoulera encore un certain temps pendant lequel la pression sur le gouvernement est maintenue par tous.
Extrait de notre livre
Vous pouvez obtenir le livre de Lecoin en envoyant un chèque de 8 € à l’UPF, BP 196, 75624 Paris cedex 13.
Voir les annexes de fin 1962 : Une lettre de Lecoin envoyée à de Gaulle, un tract du groupe de Nîmes, des coupures de presse ainsi que quelques réflexions de l’ACNV sur la façon de poursuivre l’action.
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12 juin 1962
Procès des quatre « Alain Larchier » à Grenoble : après cinq moins de détention, Jean Rogier, de l’Arche, Yves Chataigné, chef opérateur à Nantes, François Ferry, étudiant à Nancy, et Didier Poiraud, étudiant à Angers, sont jugés pour la manifestation du 6 janvier, au cours de laquelle ils s’étaient solidarisés avec Alain Larchier.
Quatre témoins sont cités par la défense ; le RP Chauvat, dominicain à Nancy, dont l’intervention retient particulièrement l’attention, Jean-Pierre Lanvin, de Saint-Genis-Laval, René Boiron, ingénieur agronome, et Victor Savary, étudiant. Tour à tour, quatre avocats expliquent les causes des attitudes des inculpés : maîtres Abécassis, Courrégé, Mathieu et Ferrère. Condamnation : 20 NF d’amende et dix jours de prison avec sursis. Jean Rogier, qui avait renvoyé son livret militaire, se voit infliger en plus trois mois de prison avec sursis. Ils sont libres, sauf Didier Poiraud contre lequel avait été délivré un mandat d’arrêt pour insoumission, alors qu’il était en prison. Néanmoins, on le transfère à la prison de Montluc, à Lyon, où sera prononcé un non-lieu. De là, il ira au camp de Sathonay.
Fin juin
À la suite du procès Jack Muir, chaque « condamné » reçoit un avertissement d’avoir à payer sans retard la somme de 2 551 NF, solidairement avec les autres condamnés.
La nouvelle orientation ? Jo Pyronnet écrit dans le numéro 14 du journal de l’ACNV :
« Nos réfractaires avaient adopté une attitude commune pour la durée de la guerre d’Algérie. Chacun peut et doit désormais reconsidérer le problème en toute liberté.
[...] Le réalisme civique nous interdit de demander et même de souhaiter dans l’immédiat la suppression de toute défense armée, sans avoir rien prévu pour la remplacer. »
Dans la Lettre, n° 16 A du 17 avril 1962 et celle du début juin, n° 18, on constate d’abord que :
« Le cessez-le-feu n’est pas la paix. Pour que la paix devienne effective, les moyens employés les mois passés restent toujours valables. Le service civil en Algérie nous apparaît plus que jamais une solution à tenter. Les emprisonnés eux-mêmes le disent, »
et l’on se pose encore beaucoup de questions :
« Où en est l’action pour un service civil en Algérie ? Quelle peut être son orientation depuis le cessez-le-feu ? Nous voudrions aujourd’hui faire le point avec vous.
« L’ACNV, parce qu’elle se veut civique, et non seulement sur le plan de la morale individuelle, doit accrocher son combat pour la paix sur un point précis posé à la conscience de tous, ou que tous ont la possibilité de voir ou de connaître : ainsi l’action contre les camps d’internement, ainsi l’action menée depuis deux ans pour un service civil en Algérie et qui voulait apporter une réponse positive aux problèmes d’un certain nombre de jeunes devant leur participation à la guerre d’Algérie.
« Même si la guerre n’est pas terminée, elle a changé de sens, et les circonstances ne sont plus les mêmes. Une première étape est franchie depuis le cessez-le-feu dont il nous faut tenir compte. Nous avons donc décidé depuis un mois de suspendre les manifestations de solidarité avec les réfractaires parce qu’elles ne répondent plus aux besoins actuels. Et si de nouveaux réfractaires nous demandent aide et appui, nous nous contenterons de les accueillir sur le chantier si celui-ci peut être maintenu.
« Nous nous considérons donc en fin d’action, du moins sous la forme qu’elle avait adoptée, mais nous restons toujours étroitement solidaires des jeunes avec lesquels nous nous étions engagés. Tant qu’ils sont en prison, nous ne pouvons nous considérer comme démobilisés. Pour les mois à venir, et tout spécialement le mois de juin, notre effort consistera à peser sur les milieux gouvernementaux pour qu’une solution la moins mauvaise possible leur soit offerte et leur permette de servir plus utilement qu’en prison. »
Voir les annexes de fin 1962 : ACNV et objection de conscience ainsi qu’une lettre de l’ACNV aux réfractaires après l’ajournement du statut.
3 juillet 1962 : Proclamation de l’indépendance de l’Algérie |
9 juillet 1962
Jean Pezet achève ses dix-huit mois de prison. Il est transféré à la caserne de Rueil-Malmaison.
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16 juillet 1962
Jean Lagrave, qui achève également sa peine, est transféré de l’Étape à la caserne Audéoud à Marseille.
12 septembre 1962
Didier Poiraud retourne à la prison de Montluc.
Jean-Jacques Hetzel, instituteur dans le Tarn-et-Garonne, protestant, rejoint le chantier de Marseille, dans l’intention de refuser le service militaire. Il écrit aux parents de ses élèves pour leur expliquer :
« ... Il nous arrive à nous autres enseignants, de parler aux enfants, au cours de leçons de morale, de paix et de fraternité. Je pense qu’il est naturel que nous ne fassions pas que de le dire, mais que nous le mettions aussi en pratique... »
19 septembre 1962
Claude Verrel, ami de Pierre Boisgontier, maître auxiliaire de mathématiques à Bar-le-Duc, répond au directeur du recrutement :
« ... La guerre d’Algérie est symptomatique : sept ans et demi de guerre pour aboutir à ce qu’elle prétendait éviter : l’indépendance... Par ailleurs, à l’heure où la France est en train d’équiper son armée de bombes atomiques, et bientôt de fusées, en attendant des moyens de destruction plus puissants encore, je me refuse à être complice de ce que je considère comme un crime contre l’humanité. La seule fabrication de la bombe est un acte de guerre, car elle accroît la tension internationale et la menace atomique qui pèse sur le monde. C’est pourquoi je suis volontaire pour travailler, à mon échelle, à la réalisation d’un monde plus fraternel, et surtout plus pacifique.
Enfin, en tant que catholique, je considère que les commandements « tu ne tueras point » et « tu aimeras ton prochain » ne devraient pas souffrir d’exceptions ».
20 septembre 1962
Procès de Robert Siméon à Marseille. Public peu nombreux, à cause de la rentrée des classes. Parmi les témoins, André Ruff et Jacques Langhart suppléent à la brièveté de Robert, cependant ferme et digne. Citons encore Yvonne Désiré, de Paris. Me Gasparri parle de l’efficacité de la non-violence, et demande au tribunal, « non l’indulgence, mais la conciliation dans son mandat : la loi établie et le fait qu’elle soit moribonde... » La condamnation est de dix-huit mois. André Ruff et Gilbert Derras renvoient leur livret militaire, en signe de solidarité avec Robert.
21 septembre 1962
Jean Lagrave est maintenant aux Baumettes. Yves Bel est dans une cellule voisine.
24 septembre 1962
À Paris, procès de Jean Rogier, pour le renvoi de son livret militaire : Colette Poullain, Claude Michel et Yvon Gougenheim témoignent en sa faveur. Son défenseur est le même qu’à Grenoble, Me Courrégé. Il est condamné à six mois de prison avec sursis, confondus avec la condamnation de Grenoble (voir plus haut à la date du 12 juin 1962).
28 septembre 1962
Arrestation au secretariat de l’ACNV
La police vient à Vanves, au secrétariat, recherchant Claude Verrel, alors que celui-ci y est justement, se préparant à rejoindre le chantier de Marseille. Dans l’une des pièces, un plaisantin a écrit au mur : « L’O.A.S. vaincra », ce qui ne fait pas rire du tout le policier... Claude est emmené au camp de Frileuse, en Seine-et-Oise.
Après l’indépendance, d’autres volontaires partent travailler en Algérie. Claude Pustilnicov, qui est du nombre, écrit ainsi une lettre publiée dans le n° 16 de janvier 1963 du journal de l’ACNV :
« En résumé, je suis instructeur dans un petit bled (10 000 habitants). Au moins 600 enfants à scolariser et, actuellement, quatre instructeurs, quatre moniteurs, aucun instituteur. Et il y a encore trois hameaux de la commune qui sont sans école.
D’après ce que j’ai reconstitué, après l’évacuation de l’armée française, l’ALN a pris possession pour quelques semaines des installations puis s’est aussi repliée dans les casernes, ce qui fait que tout est redevenu comme avant les événements car, ici, on ne parle que des événements, rarement de la guerre de libération. C’est-à-dire que les villageois sont à nouveau presque seuls devant leurs problèmes... »
Henri Cheyrouze et Paul Grosz pensent également qu’ils peuvent être plus utiles en Algérie qu’en prison. C’est pourquoi, après avoir purgé leur peine, ils profitent, chacun de son côté, lors du transfèrement de la prison à la caserne (où un nouveau refus de l’habit militaire devrait avoir lieu) pour fausser compagnie aux militaires et trouver une filière pour se rendre en Algérie. Voir ci-dessous, en cliquant dessus, une note parue dans une circulaire du début de l’année 1964.
29 septembre 1962
Jean-Jacques Hetzel embarque pour l’Algérie. Après avoir écrit à son colonel à Montauban :
« Je crois de mon devoir d’aller réaliser immédiatement le service civil que demandent mes camarades. Après avoir travaillé au service des rapatriés, je rejoins le chantier du Service Civil International en Algérie ».
« Je n’ai pas l’intention de me soustraire aux lois de mon pays, mais seulement d’appliquer par avance le statut attendu par les objecteurs de conscience. Au cas où une solution satisfaisante ne leur serait pas proposée avant la fin de l’année, je pense venir me mettre à votre disposition, Monsieur le Ministre, dès le début de l’année prochaine. »
Il écrit au Ministre des Armées : « ... Peu à peu, s’est imposé à moi un idéal de fraternité entre les hommes, de progrès social et moral et s’est mûrie la conception d’une vie consacrée au service de la vérité et de la justice.
« C’est à ce titre que j’ai le souci, pendant la durée de mon service militaire, de me rendre utile à la société, non seulement à titre individuel, mais de façon que d’autres après moi puissent bénéficier d’un statut de l’objection de conscience leur permettant d’avoir un rôle constructif. Ni une solution individuelle, ni une situation plus facile au sein du service militaire ne sauraient me convenir...
« ... Je rejoins aussitôt un chantier d’urgence dont je vous communiquerai l’adresse dans quelques jours. »(voir en annexe).
Il écrit également une lettre aux parents de ses élèves (voir en annexe).
[L’armée essaie de récupérer des réfractaires avant le vote du statut. Voir lettre-circulaire ci-contre et un extrait de presse ci-dessous.]
30 septembre 1962
Alain Corbineau, qui se fit arrêter jadis sur le chantier de Gagny et fit un mois de prison à Pontoise, regagne Paris en auto-stop. La police de la route, flairant l’OAS, lui demande ses papiers, et lui apprend - ö surprise ! - qu’il est condamné par défaut à quatre mois de prison ferme et recherché pour renvoi de son livret militaire. Il n’en a jamais rien su ! Laissé en liberté, il est prié de se présenter au tribunal d’Aix-en-Provence le 10 octobre.