Réfractaires non-violents à la guerre d’Algérie
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Janvier-mars 1962
Article mis en ligne le 4 décembre 2008
dernière modification le 22 août 2018

par A.B.

Contexte politique

L’année qui vient de passer a été le temps de négociations difficiles entre les indépendantistes algériens et le gouvernement français ; les discussions ont été interrompues à plusieurs reprises. Il faudra attendre le début de 1962 pour que le général de Gaulle annonce que la cessation des hostilités est proche. Les accords d’Évian et le cessez-le-feu ont lieu le 18 mars. Il y aura pourtant encore nombre de drames comme les plastiquages de l’OAS et la répression féroce de diverses manifestations (les huit morts de Charonne), etc., avant que l’indépendance de l’Algérie soit enfin reconnue, officiellement, par la France, le 3 juillet 1962.

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Pour l’Action civique non violente et pour certains réfractaires dont l’engagement premier avait été pris face à cette guerre coloniale, cette année 1962 est une période d’incertitude sur le chemin à prendre.

Comment se déterminer ? L’ACNV, qui ne veut pas abandonner ceux qui sont encore en prison (plusieurs procès sont prévus), se voit alors obligée de repenser sa stratégie ; elle amorce une nouvelle orientation. Il faut ajouter que certains réfractaires qui ne s’opposaient qu’à cette guerre coloniale n’ont désormais plus envie de reprendre l’uniforme.
Par ailleurs, avec la grève de la faim de Louis Lecoin, la lutte s’oriente vers l’obtention d’un statut de l’objection de conscience, quel qu’en soit le motif. L’ACNV appuie ce combat et accueille des jeunes gens voulant bénéficier de la nouvelle législation. En attendant, les réfractaires sont regroupés au camp de Mauzac à partir d’octobre.

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6 janvier 1962

Cinq Alain Larchier et accompagnement de Marcel Hladik

Simultanément à Paris et à Grenoble, Marcel Hladik et Alain Larchier se présentent aux autorités.

Didier Poiraud, François Ferry, Erwan Châtaigné, Alain Larchier et Jean Rogier
"Le Dauphiné libéré" du 7 janvier 1962
Lettre de Marcel Hladik au ministres des armées, 6 fev.1962

À Paris, les amis organisent une manifestation-défilé pour accompagner Marcel Hladik à la gendarmerie centrale. Pendant qu’il est à l’intérieur, ils sont une soixantaine dehors qui observent un quart d’heure de silence.

ne participez pas à la manifestation, mais venez y assister en la suivant à distance.
Si vous ne pensez pas pouvoir respecter les consignes données au verso,

L’officier de gendarmerie qui a pris l’affaire en main, nous affirme qu’à dater de l’ordre de route bien qu’il soit impératif, un mois de délai est accordé aux jeunes appelés pour se rendre à leur caserne, et que, seulement après, ils sont considérés comme insoumis. En conséquence de quoi, il n’a pas à intervenir et l’invite à se retirer.
Voir tract ci-dessous.

À Grenoble, les choses sont différentes. Manifestation enchaînée de quatre volontaires avec Alain Larchier.
Voir les annexes fin 1962

Claude Voron est inculpé et transféré à la prison des Baumettes.

24 janvier 1962

Procès de Jean-Pierre Hémon. Bien que réformé, Jean-Pierre comparaît devant le tribunal militaire de Bordeaux pour « insoumission » à la loi sur le recrutement. A l’issue de l’audience, il est acquitté. Dans la nuit précédente, un attentat au domicile de Marguerite Lavaud, responsable du groupe de Bordeaux ne fait que des dégâts matériels mais suscite le lendemain devant leur maison, une manifestation de plus de cent cheminots qui viennent défiler, d’abord bruyamment, puis en silence, après que Marguerite Lavaux leur eut demandé que cette manifestation soit respectueuse de tous…Voir les annexes fin 1962

"Midi Libre" du 16 janv.1962

C’est le premier attentat commis contre un membre de l’Action civique. Il serait bien de manifester notre solidarité par un geste de sympathie. Envoyez votre participation à la remise en état de sa maison à : Marguerite Lavaux. CCP Bordeaux 26.76.21. Merci à ceux qui l’ont déjà fait.

À Toulouse, procès d’Eric Pot déjà condamné à un an en 1960 ; il comparaît à nouveau devant le tribunal militaire de Toulouse. Rappelons qu’Eric appartient à l’Église réformée de France et désire servir au sein des missions protestantes. Il réitère sa volonté de travailler au sein d’un service civil pour des motifs religieux qui lui interdisent de prendre l’uniforme. Il est condamné à 15 mois de prison. Compte rendu de son procès, voir les annexes fin 1962

26 janvier 1962

Michel Hanniet, arrêté le 5 octobre, est jugé à Lyon. Dix témoins parlent en sa faveur devant une salle pleine et un tribunal attentif. Michel, calme et souriant, est condamné à deux ans de prison. Une manifestation a lieu près du tribunal. Les manifestants ont décidé d’être tout entier à ce qu’ils font et de ne pas se laisser distraire.

Jean-Pierre Hémon et Eric Pot
Coupure de journal sans références

Après le « ramassage habituel », le silence continue tout le long du transport en car et encore quelques minutes à l’arrivée : les manifestants ne consentent à descendre d’eux-mêmes qu’une fois le quart d’heure écoulé.

31 janvier 1962

Procès de Claude Barthaux à Corbeil, pour le renvoi de son livret militaire. L’accusé explique son cheminement, des FFI à 18 ans, au Service civil international, et sa rencontre avec Jean Lagrave, qui décide de son attitude. Joseph Pyronnet démontre le réalisme de Jean, et Colette Poullain son sens de la communauté et du service.
Le procureur réclame l’application stricte de la loi.
Me Gambier de La Forterie fait remarquer l’ancienneté de cette loi et son évolution souhaitable, s’appuyant sur les récentes introductions du service civil en Guadeloupe et en Guyane. Verdict : 600 NF d’amende.

8 février 1962

Le drame de Charonne

Les attentats de l’OAS contre les opposants à la guerre d’Algérie se multiplient et, en réaction, le 8 février 1962, une manifestation est organisée à Paris, par les principaux syndicats, le PC et le PSU. La police interviendra avec une grande violence, provoquant la mort de huit manifestants dans l’entrée du métro Charonne.

Lettre de l’UNEF à Marcel Hladik sur le chantier
Suite de chantier à Carry-le-Rouet 1962

L’ACNV se mobilise voir annexe.

Quatre mois dans les avant-postes

Le chantier se poursuit à Carry-le-Rouet [depuis le 25 novembre 1961], près de Marseille. Les maisons de vacances se bâtissent et seront prêtes pour Pâques, malgré le petit nombre de volontaires.

9 février 1962

Alain Larchier passe du camp de Sathonay à la prison militaire de Montluc, à Lyon.

21 février 1962

Marc Joubert comparaît au tribunal de Bourg-en-Bresse, pour avoir renvoyé son livret militaire lors du jugement de Jean Lagrave. L’abbé Clément, curé à Lyon, le pasteur Lasserre, secrétaire du Mouvement de la réconciliation, le colonel Alban-Vistel, compagnon de la Libération, ainsi que Bernard de Cazenoves de Nîmes, témoignent en faveur de Marc et de son désir d’être solidaire des jeunes volontaires-réfractaires. Me Bernardin, du barreau de Lyon, défend chaleureusement son client qui obtient 8 jours de prison avec sursis.

Lettre de Marc Joubert publiée dans le journal de l’ACNV, n° 11, accompagnant le renvoi de son livret militaire

Monsieur le ministre,

Le 16 janvier dernier, je me trouvais sur le chantier de service civil ouvert par l’ACNV à Gagny aux côtés de Jean Lagrave, parachutiste à Montauban depuis janvier 1960, de Christian Fiquet, mobilisé dans l’armée blindée à Trèves depuis septembre 1959, et d’un autre militaire, lorsque les gendarmes les arrêtèrent.

Couverture d’un livret militaire

Les ayant connus suffisamment, je puis témoigner de leur courage et de leur ardeur à servir généreusement pour une œuvre de paix. Je l’ai d’ailleurs manifesté publiquement en déposant au procès de Jean Lagrave, le 22 septembre 1961, devant le tribunal militaire de Toulouse.

Ma solidarité avec ce réfractaire, comme avec ceux qui ont adopté la même attitude, demeure entière. Jean Lagrave ayant été condamné à dix-huit mois de prison, j’estime de mon devoir et conforme à l’honneur de vous remettre ci-joint mon livret militaire, livret que je ne consentirai à reprendre que lorsqu’aura été institué dans notre pays le service civil qu’il a réclamé ainsi que plusieurs autres conscrits ayant écrit comme lui à monsieur le président de la République.

Je vous demande en outre, monsieur le ministre, de me faire inculper et condamner conformément à la loi dont l’application a été requise contre lui.

Je crois qu’il n’est pas indispensable de vous exposer à nouveau les considérations maintes fois développées, tant par les principaux responsables de notre action que par les jeunes eux-mêmes sur la nécessité de combler une lacune de notre législation alors que la guerre d’Algérie provoque chez ceux-ci un drame de conscience plus douloureux qu’ailleurs.

Je me permets seulement de préciser, monsieur le ministre, qu’en adoptant dans les circonstances actuelles une telle attitude, j’ai le sentiment de servir au moins autant mon pays et encore mieux la paix que lorsque je suis entré à une autre époque dans la Résistance.

Veuillez agréer, monsieur le ministre, l’expression de ma haute considération.

Voir comment Marc Joubert a rencontré l’ACNV.

22 février 1962

Arrestation sur le chantier

Marcel Hladik, étudiant parisien en biologie, qui s’était présenté à la gendarmerie à Paris le 6 janvier, est arrêté, cette fois-ci, sur le chantier de Carry-le-Rouet, où il travaillait depuis le 27 novembre. Emprisonné à la caserne d’Aurelle, il nous écrit au sujet des jeunes appelés qu’il rencontre : « Ils n’ont pas eu la possibilité ou l’occasion de se joindre à nous, par manque d’éducation, ou quelquefois seulement, faute d’être documentés sur les événements. Et pourtant, ils sentent que nous sommes un appui pour eux ; que nous marchons avec force dans une voie qui sera peut-être la leur ; et ils espèrent en nous… »

Henri Bouteiller

25 février 1962

Jean Lagrave et André Bernard quittent Marseille pour l’Étape, prison sans murs pour « détenus méritants » où ils retrouvent René Nazon
(voir rubrique).

27 février 1962

Christian Fiquet, qui était à Bône, est ramené en France.

16 mars 1962

Georges Mailfert, prêtre de la Mission de France, est jugé à Laon. « C’est pour servir le pays que, par le renvoi de mon livret militaire, j’ai voulu exprimer en tant que prêtre, à la fois la réalité et l’importance des questions morales auxquelles les jeunes étaient affrontés dans cette guerre, ainsi que la responsabilité des adultes à leur égard. » (Voir sa lettre de motivation.)
Me Bernardin situe l’obéissance par rapport à la conscience et à l’État. La condamnation est de 3 mois de prison avec sursis.

Michel Lefeuvre demande à Pierre Boisgontier de témoigner au procès de Georges Mailfert
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18 mars 1962 : Les accords d’Évian et cessez-le-feu

"Midi Libre" du 19 mars 1962
Claude Michel, Claude Pustilnicov, André Ruff, Yvon Bel et Henri Bouteiller

23 mars 1962. Une manifestation et un procès.

Parmi les cinq, lequel est Bel ?

Place Graslin, à Nantes, au cours d’une manifestation, Yves Bel se constitue publiquement prisonnier, enchaîné à quatre autres camarades décidés à partager son sort. Pour cette raison, aucun n’a de papiers d’identité. Ils sont tous écroués à l’hôtel de police et inculpés : « Manifestation non autorisée » et « outrages à magistrat ».

Voir ci-dessous le témoignage de Josette Bel. Voir cette action racontée par un des cinq Bel.Voir le procès, à la date du 14 mai 1962.

À Marseille, procès de Claude Voron, arrêté le 9 décembre à Carry. « Les grands problèmes de l’heure, guerre, faim, aide aux pays sous-développés, peuvent être résolus par le service civil. »
Sept témoins sont cités : M. Jacques Boulon, astronome ; J.-P. Maindive, étudiant ; le père Tayeau ; Jacques Drouet ; le pasteur Blanchet ; Johannès Columeau, pharmacien et l’abbé Gentil ; qui ont tous affirmé leur solidarité avec l’inculpé. Me Germaine Poinsot-Chapuis fait ressortir les risques du service civil et le courage dont l’accusé est prêt à faire preuve. Il est cependant condamné à deux ans de prison, transféré à l’Étape en mai, puis il ira rejoindre ses camarades à Mauzac. Voir compte rendu de son procès.

Pascal Gouget et Jean-Louis Gauthier renvoient leur livret militaire. Voir leur procès le 20 mai 1963.

24 mars 1962

Marcel Hladik passe la visite psychiatrique règlementaire à Bourges ; bon
pour le service. Il réintègre la prison de sa caserne le 28.

Témoignage recueilli après notre rencontre de 2003

Josette Bel raconte :

« En 1961, quand Yvon a pris la décision de ne pas participer à la guerre d’Algérie, je ne l’ai suivi que parce qu’il m’a fait connaître l’ACNV. La proposition de remplacer le service militaire par un service civil en Algérie était nouvelle et paraissait être la juste solution au problème de conscience qui se posait alors très fortement : comment se désolidariser de ce qu’on n’approuve pas ? Comment ne pas tuer alors que la France était en guerre ?

« La rencontre avec Jo Pyronnet lors d’un chantier suivi d’une action d’enchaînement à Lyon, place Bellecour, a été déterminante : c’est là, me semble-t-il, que j’ai compris qu’un refus pouvait devenir un combat, celui de « pionnier » de la non-violence. Alors, pour la première fois, j’ai participé à une distribution de tracts.

Josette avec sa fille Bernadette en 1962

« Quoique habitée par ces convictions, il ne m’était pas facile de convaincre les autres, particulièrement ma famille. Pourtant, mon frère aîné était parti en Algérie comme officier et, quand il venait en permission, il rêvait violemment la nuit, il se levait, hurlait et réveillait toute la maison. J’avais 19 ans et je me souviens que le matin personne n’osait poser la moindre question.

« Quand j’annonce que je me mariais plus tôt que prévu parce que mon fiancé refusait d’aller tuer en Algérie, qu’il irait en prison, que je devais me marier pour avoir le droit de visite, ma mère m’a dit : « Ton frère y est bien allé ! » Toute la discussion s’est arrêtée là...

« Au collège, je devais parfois faire face à des accusations de « désertion », de « lâcheté », entendues dans la cour de récré alors que le principal et l’inspecteur académique ont exprimé leur « admiration ».
Ma belle-mère, sage-femme, partageait nos idées, signait des pétitions et accueillait chez elle des réfractaires de passage donnant des nouvelles de notre prisonnier. Dans sa clinique de la banlieue parisienne elle accouchait plusieurs « bébés de réfractaires » : le nôtre en premier.

« J’étais très touchée par les lettres venant de différents pays qui expriment un soutien à cette action et par l’accueil à Marseille des amis de l’ACNV quand je venais, avec mon bébé dans les bras, pour le procès d’Yvon. L’échange de lettres avec lui était presque quotidien : je racontais le monde extérieur ; lui, disait la promiscuité, l’ascèse des cellules, la joie active des chantiers. Nous ne disions pas nos peurs. Sans doute n’en éprouvions-nous ni l’un ni l’autre. »

(Extrait de notre livre)

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