De Bordeaux à Lyon
André Bernard venait d’être jugé à Bordeaux quand paraissait notre numéro précédent : André est condamné à un an de prison avec sursis, et remis aux mains des militaires. Huit volontaires s’installent devant la prison pour un jeûne : arrestation, vérification d’identités, puis relaxation. Un groupe de jeunes essaie de créer un incident, mais, séduit par l’attitude et les paroles des huit, s’en retourne après une conversation… amicale. Puis, les volontaires quitteront Bordeaux pour se rendre à Poitiers.
13 juin 1961
Les « marcheurs de la paix » San Francisco-Moscou essaient vainement de débarquer au Havre. Les visas leur sont refusés. Alors, deux volontaires, Georges Abadia et un Algérien, décident de prendre le relais et se mettent en marche vers Paris.
La marche de la paix San Francisco-Moscou
La Lettre, n° 12 de l’ACNV cite le journal Libération du 14 juin :
Le 13 juin 1961, des forces considérables de police, massées sur le quai, attendaient le matin le paquebot anglais Normania. Il s’agissait pour les policiers d’appliquer les instructions du ministère de l’Intérieur et d’interdire à 28 des 285 passagers venant de Southampton de mettre le pied sur le sol français.
Ces 28 passagers, 18 Américains, 1 Finlandaise, 1 Allemand, 6 Anglais et 2 Suédois, n’étaient autres que des non-violents, les marcheurs de la paix qui se proposaient de terminer à Moscou leur marche de 10 000 km en dix mois.
Les policiers français leur signifièrent à bord du paquebot que leurs visas étaient refusés et qu’ils devraient rester sur le navire toute la journée en attendant son départ prévu pour le soir à 23 heures.
Au fur et à mesure que le temps s’écoulait, la foule continuait à se masser à proximité du paquebot anglais, cependant que des motions émanant de très nombreux maires de la Seine-Maritime, et notamment du Havre, étaient adressées à la sous-préfecture du Havre et à la préfecture de Rouen. Toutes les démarches des responsables du PSU et de l’ACNV furent vaines.
Les pacifistes informèrent alors qu’ils allaient tenter de débarquer sur le sol français. À 18 h 30, neuf d’entre eux se jettent à l’eau sous les applaudissements du public. Les policiers se précipitent pour les appréhender, les remonter à quai. Il fallut les porter pour les faire monter dans les fourgons de police. À 20 h 30, trois nouveaux sautent par-dessus bord. Même opération. À 23 h 30, le paquebot appareille.
L’ACNV, malgré son désir d’aider à l’organisation de la marche en France, avait déjà fait savoir depuis plusieurs mois qu’il ne fallait pas compter sur elle. Cependant, quelques-uns des volontaires y participeront : Georges Abadia, Jean-Pierre Hémon et Didier Poiraud.
14 juin 1961
« Nous sommes tous Jean-Pierre Hémon »
A Poitiers, cinq non-violents enchaînés, démunis de papiers d’identité, se présentent devant l’hôtel de ville. Chacun veut être traité comme Jean-Pierre Hémon, recherché pour insoumission. Au-dessus de leur tête flotte une grande banderole : « Volontaires pour un service civil en Algérie – Réfractaires au service armé, Jean-Pierre Hémon se met à la disposition des autorités – Nous nous constituons prisonniers avec lui ».
Jean-Pierre Hémon était cordonnier. Ses parents habitent Angoulême. Depuis octobre dernier, il travaillait sur le chantier de l’Action civique non violente. Il venait de recevoir son ordre de route, le convoquant le 13 juin à Poitiers. De nombreux sympathisants viennent, et bientôt, une foule imposante se masse Place-d’Armes lorsque arrivent les policiers qui embarquent les non-violents dans le panier à salade. L’opération est menée avec courtoisie et la foule applaudit longuement les cinq « frères » Hémon au moment de leur départ.
15 juin 1961
Deuxième manifestation, des amis poitevins cette fois-ci : ils se présentent devant le palais de justice où sont interrogés les cinq et font un quart d’heure de silence. Ils sont conduits au commissariat pour vérification d’identité.
Pendant ce temps, pour les cinq Jean-Pierre Hémon, photographies et processus d’identification en onze exemplaires, procès-verbaux. Nuit passée au froid, en cellule : X5 est quasi identifié, par confrontation d’écriture. X2 voit le procureur : entretien d’une courtoisie très simple. Ils sont tous les cinq inculpés de provocation de militaires à la désobéissance et de participation à manifestation non déclarée ; puis, le soir, mis en liberté provisoire : « Jean-Pierre Hémon, l’armée vous octroie deux mois de réflexion… » Quatre d’entre eux, dont Jean-Pierre Hémon, rejoignent la Marche de la paix.
15 juin 1961
Paul Grosz comparaît devant le tribunal militaire de Metz, une trentaine d’amis se sont déplacés spécialement de Mulhouse et de Thann. Il y a huit témoins, dont Pierre Kasser et Robert Mousset, du PSU de Mulhouse, Jacques Lendle, délégué CFTC et Michel Lefeuvre, représentant les volontaires. Des témoignages écrits émanent de certaines « autorités ». Pendant le délibéré, le public observe debout le silence. Le tribunal décide de dix-huit mois de prison. Une quarantaine de personnes se regroupent à l’issue du procès, en plein cœur de Metz, pour un quart d’heure de silence.
Le lendemain et le surlendemain, des manifestations analogues ont lieu à Mulhouse et à Thann, avec une participation encore plus nombreuse
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À l’occasion du procès de Paul, Georges Abadia, Georges Humbert, de Paris, et René Bernadat, de Grenoble, ont renvoyé leur livret militaire. |
22 juin 1961
Pierre Boisgontier, ayant accompli ses huit mois de peine, est libéré.
Il rejoint les volontaires, avec sa femme Élisabeth.
Fin juin 1961
Deux nouveaux réfractaires nous rejoignent : Michel Hanniet, 21 ans, instituteur à Compiègne, et Robert Siméon, 20 ans, typographe à Paris. Ils reçoivent leur feuille de route pour le 4 juillet. En la renvoyant, Michel Hanniet écrit à son commandant :
« J’ai assisté, le 15 juin dernier, à Metz, au procès de Paul Grosz. Les arguments exposés lors de ce procès par le président du tribunal et le commissaire du gouvernement n’ont pas altéré mais renforcé ma conviction que l’attitude de ces jeunes, face à la guerre d’Algérie, est pleinement valable et constructive. Paul Grosz a été condamné à dix-huit mois de prison. C’est donc en connaissance de cause que j’adopte officiellement la même attitude. » Voir sa lettre ci-contre.
5 juillet 1961
Les volontaires et les réfractaires, en rassemblement près de Versailles, reçoivent la visite de Vimala Thakar, de la Shanti Sena, l’armée de paix indienne. L’accueil est cordial. Vimala, qui a connu Gandhi, parle de son travail et on procède à un échange de questions sur les méthodes respectives.
10 juillet 1961
J.-P. Hémon et ses acolytes sont convoqués chez le juge d’instruction, à Poitiers. Ils sont laissés en liberté et vont travailler sur un chantier : aménagement de terrains et de bâtiments pour un centre de plein air, aux environs de Poitiers.
Fin juillet 1961
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1er août 1961
Deux nouveaux réfractaires : Gilbert Schmitz, 21 ans, mobilisé en Allemagne depuis janvier 1961, renvoie ses effets militaires et prévient du lieu où il se trouve. Michel Bourgeois, 26 ans, étudiant en théologie à la faculté de Paris, marié et père de famille, reçoit sa feuille de route. Voir annexe
8 août 1961
« Nous sommes tous Gilbert Schmitz »
A Mulhouse, Gilbert Schmitz s’enchaîne avec quatre volontaires devant l’hôtel de ville, à 18 h 30, tandis qu’une banderole appuyée d’une distribution de tracts explique son geste aux passants. Tous les cinq, sans papiers d’identité, demandent à être traités comme Gilbert Schmitz. Vers 20 h 30, ils sont emmenés au commissariat central où ils passent la nuit. Gilbert est identifié, puis remis le lendemain aux gendarmes, pour rejoindre son corps.
Ce même jour, 9 août, une quarantaine de personnes se rassemble silencieusement sur les lieux de l’arrestation de la veille, sous les regards d’une centaine de curieux. Distribution de tracts. Confiscation des banderoles. La même nuit, les quatre volontaires sont relâchés : il s’agissait de Claude Voron, Michel Hanniet, Robert Siméon et un autre futur réfractaire : Yves Bel, 20 ans, radio-technicien, de la région parisienne. Tous quatre retournent sur un chantier à Thann, où ils travaillent depuis huit jours.
Préparation à l’action. Lettre de Gilbert Schmitz à son colonel |
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Cinq "Gilbert Schmitz" : Claude Voron, Michel Hanniet, Gilbert Schmitz, Robert Siméon et Yvon Bel Yvon Bel : « Réaction inattendue du concièrge de la mairie ; il décroche la banderole qui nous tombe dessus. Pas de panique, on prend la banderole à bout de bras et on la tient. » Voir le récit d’Yvon de cette manifestation et sa rencontre avec les non-violents. |
12 août 1961
J.-P. Hémon est arrêté sur un chantier du Service civil international à Millau (Aveyron). A son départ, tout le chantier réuni fait un moment de silence et lance un chant d’adieu. Jean-Pierre est transféré au 2e régiment RAMA, à Castres.
15 août 1961
Claude Voron, volontaire depuis mars, ancien étudiant en sciences, à Marseille (astronomie) résilie son sursis.
« Je résilie mon sursis pour bien signifier que je ne me dérobe pas devant le problème de la guerre. Cependant, je pense mieux construire la paix des cœurs en réalisant un service civil en Algérie qu’en étant contrôleur des opérations aériennes… »
Il est peu de temps après convoqué à la caserne de Vincennes pour le 1er septembre. Il renverra sa feuille de route.
17 août 1961
Volontaires et réfractaires s’installent sur un chantier à Nancy, avec Pierre Boisgontier. Ils remettent en état des vieux logements et des taudis. Parmi eux, Michel Bourgeois renvoie sa feuille de route.
« Pourquoi mon refus d’un service militaire ? Parce que je suis chrétien et que ma vocation est de servir Dieu, comme pasteur. En effet, comment pourrais-je prêcher l’Évangile un jour, et demain me préparer à tuer et à asservir mon prochain ? »
« Et c’est parque que je ne suis pas un associable et parce que je demande à servir mon pays, que je demande à accomplir un service civil en Algérie. Comme citoyen, j’ai le vif désir de collaborer à la paix. »
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