Réfractaires non-violents à la guerre d’Algérie
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Janvier-mai 1961
Article mis en ligne le 18 mars 2011
dernière modification le 25 juillet 2020

par A.B.

Contexte politique

Deux événements importants marquent cette année :

1. Le putsch d’Alger éclate le 24 avril 1961.

Jouhaud, Challe, Salan et Zeller, un « quarteron de généraux », tentent de prendre le pouvoir dans cette ville, avec pour but d’imposer l’« Algérie française ». Ils espèrent gagner l’armée à leur cause. Les syndicats appellent à la grève. De Gaulle intervient à la télévision, le climat est à la guerre civile. L’action de l’ACNV est provisoirement suspendue et le chantier fermé. Voir en annexe.

2. La manifestation des Algériens le 17 octobre à Paris.

Avant cette date, à l’automne 1961, un bras de fer se livre entre
l’État français et les indépendantistes algériens : l’enjeu, c’est d’apparaître en position de force lors des négociations finales entre les deux gouvernements. La fédération de France du FLN, pour montrer sa puissance, appelle les Algériens de la région parisienne à une manifestation pacifique contre le couvre-feu instauré par la préfecture de police dirigée par Maurice Papon, couvre-feu qui s’adresse exclusivement aux Français musulmans d’Algérie. Ce mardi, quarante mille personnes, femmes, hommes et enfants, sortent des taudis de Paris et des bidonvilles de la banlieue et se dirigent vers le centre de Paris. Cette démonstration sera vécue comme une provocation par la police, et une répression féroce y répondra : des centaines de morts, des gens seront jetés dans la Seine. La police vivait une véritable psychose suite aux différents attentats que le FLN avait organisés contre les forces de l’ordre françaises. Pourtant, cet événement ne rencontrera quasiment aucun écho. Il faudra attendre plusieurs années avant de lire des témoignages à ce sujet, et ce n’est qu’en 2001 qu’une plaque sera apposée au pont Saint-Michel pour commémorer cette soirée sanglante. Voir en annexe.

***

Une dynamique bien enclenchée

L’ACNV doit, sans cesse, adapter son combat au rythme des réfractaires (chantiers, arrestations, procès), mais également au contexte politique du moment. Tantôt il arrive qu’une manifestation-arrestation ne débouche pas sur l’incarcération de « non-violents ». D’autres fois, l’action de soutien doit être improvisée lorsque les gendarmes viennent, impromptu, arrêter le réfractaire recherché. Il faut faire face à des événements se déroulant en même temps en des lieux géographiques distants. Parfois le contexte politique devient très tendu comme lors du putsch d’avril.

"Nous reprenons le thème de nos précédentes manifestations."
14 janvier 1961 devant la prison de la Santé.
Cécile Baudonnel Amégninou

Trois mois dans les avant-postes

Début janvier 1961

Paul Grosz et Victor Savary toujours à la Santé reçoivent leur feuille de route, l’un pour le 3 janvier à Mutzig, l’autre le 10 janvier dans les troupes aéroportées à Vincennes.

9 janvier 1961

Cécile Baudonnel et Anne-Marie Piéjus, les deux jeunes filles arrêtées alors qu’elles distribuaient des tracts lors de la manifestation de soutien à Jack Muir sont mises en liberté provisoire.
Voir manifestation de solidarité avec ceux qui restent en prison

16 janvier 1961

Deux Jean Lagrave et deux Christian Fiquet

Les gendarmes se présentent au chantier de Gagny, et réclament Christian Fiquet et Jean Lagrave. Claude Michel et Alain Corbineau se déclarent solidaires des jeunes et refusent de décliner leur identité.
Tous quatre sont emmenés.

Jean-Pierre Hémon, l’un des douze volontaires incarcérés à la Santé est mis en liberté provisoire. C’est le premier à être libéré, le dernier sortira de la Santé le 29 janvier.

Jean, Françoise, Christian entourés de Geneviève Coudrais et de François Chouquet
Retour aux sources : le 50e anniversaire de leur arrestation ils sont retournés à l’endroit où se trouvait le chantier. Aujourd’hui s’y élève une importante cité HLM. (Janv. 2011)

21 janvier 1961

Christian Fiquet est ramené à son corps en Allemagne. Il refuse de reprendre l’habit militaire.

23 janvier 1961

Jo Pyronnet est libéré en même temps que Jack Muir et Jacques Drouet. Les autorités militaires attendent Jack Muir à sa sortie de prison et l’emmènent à la caserne Dupleix.

24 janvier 1961

Claude Michel et Alain Corbineau, à la prison de Pontoise depuis le 18 sont jugés en flagrant délit par le tribunal correctionnel de Pontoise. Ils exposent eux-mêmes les raisons de leur attitude. Le tribunal ne retient pas contre eux l’inculpation de vagabondage, mais les condamne à un mois de prison ferme pour « outrage à agent », « du fait qu’ils ont obligé les agents à faire des recherches longues et inutiles ». Ils feront appel de ce jugement car ni sur le plan moral ni sur le plan juridique il n’y a outrage.

Jean Lagrave est transféré à Montauban.

26 janvier 1961

Le groupe de Montpellier encourage ses sympathisants à écrire une lettre de soutien pour Christian Fiquet

Christian Fiquet est transféré contre son gré en Algérie, toujours en tenue civile.

Pour protester contre le transfèrement,

huit volontaires renvoient leur livret militaire : Alain Corbineau, Robert Di Giacomo, Jacques Drouet, Bernard Gaschard, Claude Michel, Jo Pyronnet, Antoine Robini et Jean Rogier.

De Gagny à Marseille

24 janvier 1961

Le chantier de Gagny est définitivement fermé, malgré notre désir d’achever le travail commencé. L’arrestation du 16 janvier a produit des remous, et la municipalité nous interdit de poursuivre tout travail.

26 janvier 1961

Jean Lagrave est transféré de sa caserne de Montauban à la maison d’arrêt de Toulouse.

André Féret

Début février 1961

Au moment où cette action a commencé, fin 1960, plusieurs réfractaires (Henri Cheyrouze, André Féret, René Nazon, Tony Orengo, Eric Pot et Jean Pezet) qui se trouvaient déjà en prison suite à un refus individuel de l’uniforme, vont rejoindre les rangs de l’ACNV.

André Féret, à Compiègne, n’est toujours pas inculpé. Vers la fin du mois, il jeûnera trois jours, en même temps que Jean Pezet, incarcéré à la caserne de Nancy, pour demander un service civil.

Voir la déclaration d’un comité de soutien.
Voir aussi la lettre envoyée à son commandant

Jack Muir quitte la caserne Dupleix pour être mis en cellule au 43e régiment d’infanterie, à Lille. Pierre Boisgontier reçoit une lettre d’un capitaine lui adressant tous les papiers nécessaires à sa demande de réforme, en le priant de bien vouloir les signer. Pierre a refusé, disant que la seule chose qu’il revendique est le droit pour les jeunes Français d’accomplir, en lieu et place du service militaire, un service civil en Algé

Bernard Gaschard

11 février 1961

Les gendarmes ne veulent pas d’eux

En l’absence d’un chantier, Paul Grosz et Victor Savary, qui ont reçu l’ultimatum de leur « ordre de route » pour les 4 et 10 février, se présentent, avec deux volontaires, au cours d’une manifestation, à la gendarmerie de Grenoble. Comme aucun n’a de papiers d’identité, les gendarmes, ainsi que la police, refusent de les arrêter.

Voir, en annexe, texte du groupe de Grenoble.

16 février 1961

Les quatre « Paul Grosz et Victor Savary » ouvrent un chantier au bidonville de Saint-Barthélemy, à Marseille et en avisent les autorités. Bernard Gaschard, qui est bien connu des habitants nord-africains et autres, leur facilite l’implantation. Il s’agit de rendre praticables deux voies constamment dans la boue. Les Amis de Marseille viennent leur prêter la main, ainsi que les habitants : dégagement des fossés, nettoyage des bas-côtés, empierrement, etc.

20 février 1961

Pendant ce temps, Claude Michel et Alain Corbineau ont achevé leur mois de prison à Pontoise et sont libérés. Pour protester contre l’abus de pouvoir que constitue le transfert de Christian Fiquet en Algérie, sept volontaires renvoient leur livret militaire au ministre des Armées. Ils demandent que le Code de justice militaire ne soit pas volontairement bafoué mais appliqué comme il se doit.

Les renvois du livret militaire

Dans l’Appel publié à l’automne 1960, l’ACNV indique différentes actions concrètes pour appuyer ceux qui demandent un service civil en Algérie. Parmi celles-ci, elle propose :
Ce jeûne, donc, a lieu la semaine avant Pâques. Son but est d’affirmer :

– Notre volonté de prendre part aux sacrifices nécessaires pour l’établissement d’une paix rapide et durable en Algérie ;

– Notre solidarité avec tous les jeunes dans cette guerre ;

Liste, non limitative, parue dans les journal de l’ACNV, n° 11, sans date (automne 1961)

– Vous tous qui, comme nous, êtes responsables de tous ces jeunes, aidez-les, manifestez votre solidarité avec eux.

– Soutenez-les par des renvois, groupés s’il se peut, de livrets militaires ou de décorations, par des lettres aux autorités locales ou gouvernementales et aux journaux.

Dans la Lettre, n° 7, on peut lire :

[Les renvoyeurs] précisent que s’ils étaient placés dans la même situation, rappelés sous les drapeaux par exemple, ils n’auraient pas une attitude différente et que, conscients du fait que les jeunes du contingent agissent en leur nom, ils ne peuvent attendre cet éventuel rappel et renvoient dès maintenant leurs papiers militaires.

Un renvoi de livret militaire est un véritable « parrainage » lorsqu’il est effectué lors d’un procès. Le procès en question peut être celui d’un réfractaire ou d’un autre renvoyeur. Il peut aussi se référer à plusieurs motifs. Dans le n° 16 du journal de l’ACNV, à quelqu’un qui demande :

Mon livret militaire me « brûle les doigts » et je ne sais pas comment le renvoyer, à quel moment. À l’occasion d’un procès ou pour protester contre l’armement atomique ?

Il est répondu :

Le renvoyer pour protester contre l’armement atomique. Mais cela n’empêche nullement de le renvoyer à l’occasion d’un procès.
Un renvoi groupé peut être efficace pour attirer l’attention sur un procès. Ces renvois provoquent à leur tour d‘autres procès et amplifient l’écho. Le verdict va du sursis à l’amende, et parfois même jusqu’à la privation des droits civiques. Ceux qui refusent de payer l’amende sont emprisonnés. Il est aussi arrivé que le procureur de la République, insatisfait du verdict, fasse appel et donne ainsi à l’ACNV une occasion supplémentaire pour faire connaître ses actions.

Conférence de Lanza le 13 février 1961, coupure de presse retrouvée sans indications

22 février 1961

Deux Paul Grosz et deux Victor Savary se font arrêter.

Paul Grosz et Victor Savary, pris en filature, se font arrêter hors du chantier. Les deux volontaires qui essaient de partager leur sort sont rejetés, le soir, dans la campagne, à 30 km de Marseille. Le chantier continuera encore une semaine.

24 février 1961

Paul et Victor sont ramenés à leur corps respectif : Mutzig et Vincennes. Victor sera ensuite conduit à Nancy pour les examens psychiatriques d’usage. Paul passera à Strasbourg, puis également à Nancy le 1er mars.

3 mars 1961

Claude Michel et Alain Corbineau qui ont purgé leur peine, se voient accorder le sursis par la cour d’appel de Paris. Mais le motif « outrage à agent » est maintenu.

7 mars 1961

Après Gagny, après les petits chantiers de Grenoble et de Marseille, c’est à Nangis (Seine-et-Marne) que les volontaires se retrouvent. A vrai dire, il en manque trois, envoyés à Aix pour l’affaire Rene Nazon. Il faut remettre en état une vieille masure dans le but de la faire homologuer comme « Maison des Jeunes et de la Culture ».
Voir, en annexe, les travaux du chantier.

7 mars 1961

« Nous sommes tous René Nazon »

À l’Étape, près d’Aix-en-Provence, René Nazon, objecteur de conscience en prison depuis deux ans, avait l’intention de rejoindre le chantier pendant la permission de détente qui devait lui être accordée, avant d’être à nouveau reconduit à son corps. Ayant été averti que cette permission ne lui serait pas donnée, les Amis ont décidé de manifester pour sa levée d’écrou. A la porte de la prison, quand René est remis aux militaires, quatre volontaires se couchent devant la jeep, parmi lesquels Claude Voron, futur réfractaire, ayant démissionné de son travail. Une quinzaine d’Amis stationnent en silence avec des banderoles et distribuent des tracts. Tous sont conduits au commissariat de police. Les quatre volontaires, qui ont refusé de donner leur identité, ne voulant pas en avoir d’autre que celle de René Nazon, sont emprisonnés à Aix. René Nazon est transféré à la caserne de Marseille.

Voir, en annexe, le récit de l’arrestation par Claude Voron, un « bleu » de l’action non-violente.

9 mars 1961

Pierre Boisgontier est jugé par le tribunal militaire de Metz. Il est condamné à huit mois de prison. A cette occasion, des manifestations silencieuses de solidarité ont lieu à Paris, Metz, Lyon, Marseille, Aix-en-Provence, Valence, Chambéry, etc., et trois amis renvoient leur livret militaire : Jacques Delisle, Yves Châtaigner et Georges Mailfert.

Extrait de notre livre à propos de ce procès.

Autoportrait réalisé à la prison du Cambout, Metz, mars 1961
Coupure sans références

Dans le cadre de « notre histoire », Pierre Boisgontier est le premier réfractaire à être jugé. Ce sera à Metz le 9 mars.

[...]

« Le président : Pourquoi n’avez-vous pas rejoint en Algérie des camarades objecteurs qui y servent ?

Pierre : À cause de témoignages très douloureux. Puis, j’avais l’idée d’un service civil en Algérie...

Le président : Vous admettez que ça puisse se faire sous l’uniforme ?

Pierre : L’uniforme couvre trop de choses... Plus utile sera un service de réconciliation. Ce n’est pas de pitié qu’ils ont besoin. Ils ont besoin de dévouement, certes, mais le service civil reprend ce qu’il y a de valable dans l’œuvre utile du parachutiste. Mais le geste du parachutiste n’est pas un geste d’appel à la paix ! »

Onze témoins viennent déposer successivement. Parmi eux, Jo Pyronnet, le pasteur Jean Lasserre, André Mandouze, professeur à Strasbourg et fondateur du journal Témoignage chrétien, le Père Chauvat, prieur des dominicains de Nancy, et Dominique Halévy, éditeur à Paris. On fait aussi lecture de témoignages écrits de camarades militaires, d’amis, d’enseignants et également de Germaine Tillion. Comme le fait remarquer Me Stibbe, assurant la défense avec Me Bouchet, le débat se déroule dans une atmosphère d’une « haute élévation ».

Verdict : huit mois de prison.
Plus d’information en annexe

24 mars 1961

Jack Muir est mis en liberté. Il a été réformé pour « déséquilibre psychique ». La volonté de faire passer tous les objecteurs de conscience pour des déséquilibrés est bien connue. Cependant, il est exact que Jack avait été très éprouvé par sa détention. En ce sens, la réforme était justifiée et souhaitable. Pour cette raison, en accord avec l’équipe des volontaires et réfractaires, Jack renonce en ce moment à profiter de sa liberté pour participer directement avec eux à l’action. Pourtant, il est toujours des leurs. Après quelques semaines de repos, il assure un poste de professeur dans la Somme.

Du 27 mars au 2 avril 1961

Jeûne public : Pierre Boisgontier avait l’intention d’entreprendre à Metz un jeûne de quinze jours, immédiatement après son procès.

Henri Cheyrouze, à Fresnes, envisage de reprendre l’action qu’il a déjà menée. Voir en annexe la lettre d’Henri au ministre des Armées.

Henri (Hocine) Cheyrouze
Nicole (Nadia) Cheyrouze

René Nazon à Aix avait un projet du même genre. D’autres réfractaires en prison veulent faire de même.

Pour ménager la force de nos prisonniers sans rien enlever à la portée de leur témoignage, nous leur avons proposé de réduire la durée de leur jeûne et d’en faire une action commune en leur offrant d’y participer nous-mêmes de l’extérieur.
Ce jeûne, donc, a lieu la semaine avant Pâques. Son but est d’affirmer :
 notre volonté de prendre part aux sacrifices nécessaires pour l’établissement d’une paix rapide et durable en Algérie,
 notre solidarité avec tous les jeunes dans cette guerre,
 le droit de tous ceux qui refusent la guerre, de travailler pour la paix dans le cadre d’un service civil international.
En prison, plusieurs garçons jeûnent toute la semaine. À Nangis, où les nécessités de l’action et du chantier limitent le nombre des jeûneurs, quatre volontaires, auxquels se joignent des amis, font un jeûne public de cinq jours. De partout, des amis s’y associent : Paris, Lyon, Angers, Marseille, Chambéry, Mulhouse, Le Chambon-sur-Lignon, etc.

28 mars 1961
André Bernard, insoumis résidant depuis quatre ans à l’étranger [en Suisse puis en Belgique], arrive sur le chantier de Nangis, et prévient le ministre des armées de son retour. Voir annexe

"Le Canard enchaîné" du 12 avril 1961
Tract de l’ACNV, mars 1961
Permis de tarvail belge

31 mars 1961

Bernard Gaschard, Michel Lefeuvre et Claude Voron, qui étaient à la prison d’Aix-en-Provence depuis le 7 mars, sont libérés. Le quatrième volontaire n’ayant pas été identifié y est encore.
Des amis d’Aix et de Marseille ont écrit au juge d’instruction Bou, pour dire leur solidarité avec ceux qui se sont identifiés avec R. Nazon.

7 avril 1961

Les volontaires doivent quitter Nangis à la suite de pressions officielles exercées sur leur employeur. La gendarmerie locale avait été prévenue que cinq d’entre eux ne donneraient plus d’autre identité que celle d’André Bernard, et que tous les six suivraient lorsqu’elle se présenterait avec un mandat d’amener. La première tranche de travaux prévus est presque terminée. Cette fois encore, contacts avec un nouveau milieu et enrichissement mutuel.

11 avril 1961

Eric Pot est condamné à un an de prison par le tribunal militaire de Toulouse. (Eric avait refusé l’uniforme en septembre 1960. Il s’est ensuite solidarisé avec l’ACNV.) Une manifestation silencieuse de solidarité a lieu à l’issue du procès. Eric aura encore deux procès : en janvier 1962 et en mai 1963.Voir rubrique

Voici des extraits du compte rendu qu’en fait la Dépêche le lendemain :

Irène et Eric Pot

Eric Pot comparaît en habits civils. C’est un grand jeune homme dont le visage, encadré d’un collier de barbe, indique la fermeté et la bonté.

Il appartient à une famille protestante très honorable de Maubeuge. Il a trois frères et deux sœurs. Son frère aîné s’est engagé pour la campagne d’Indochine où il s’est conduit en héros. Son frère cadet a devancé l’appel et combattu en Algérie. Lui ne veut pas se battre. Mais il
ne fuit pas ses responsabilités dans la cité. [...]

Il a travaillé sur les chantiers internationaux. Il désire s’engager dans les rangs des missions chrétiennes en Afrique. C’est un garçon qui met en accord ses actes et ses convictions. [...]

Le commissaire du gouvernement fit preuve de modération en ne demandant que le minimum de la peine : un an de prison. Les avocats de la défense, Me de Félice, du barreau de Paris, et Me Viala, du barreau de Toulouse, ne purent rien contre cette loi, même si celle-ci « ne fait aucune part à la conscience » en la matière.

Voir le témoignage d’Irène en fin de rubrique.

13 avril 1961

André Féret, de Rouen, est condamné à deux ans de prison par le tribunal militaire de Lille. A l’issue du procès, une manifestation de solidarité est organisée.

André Féret, est jugé le 13 avril 1961 à Lille. Juste avant son arrestation, il avait écrit à son capitaine :

J’ai l’honneur de porter à votre connaissance les raisons qui m’empêchent d’accepter plus longtemps le service armé. Je me trouve à dater de ce jour à Rouen chez le pasteur de l’Église réformée de France. [...]

J’avais déjà écrit à Valenciennes, mon centre mobilisateur, avant mon incorporation, en janvier 1959, pour demander un service civil de trois ans dans les pays de la Communauté, mes convictions m’interdisant de combattre en Algérie. Néanmoins, j’ai répondu à l’appel en novembre 1959, non sans être troublé par cette participation à une guerre que je désapprouve et contre laquelle ma conscience de chrétien s’insurge.

Le service civil, même s’il doit durer des années, me paraît de plus en plus le seul véritable moyen de rétablir la paix entre les peuples. Je suis prêt à l’accomplir en Algérie, si mon pays m’y autorise et à condition qu’il soit placé sous le contrôle d’organismes civils.

Voir, en annexe, témoignages à son procès.
Voir aussi, en annexe, le compte rendu de son procès.

15 avril 1961

Un nouveau chantier est ouvert avec les sept André Bernard, dans un bidonville [du Canet], à Marseille. Il s’agit, pour commencer, d’une opération de nettoyage et d’évacuation d’ordures. L’équipe groupe en tout une dizaine de volontaires.

19 avril 1961

Victor Savary est réformé à Nancy, Pour « état juvénile et apragmatisme ». Il s’apprête à rejoindre les volontaires.

20 avril 1961

Tony Orengo et Jean Pezet sont jugés à Metz (voir le témoignage de Christiane Pezet en fin de rubrique). Le premier est condamné à deux ans de prison ; le second à dix-huit mois. Une cérémonie silencieuse de solidarité a lieu devant la prison ainsi qu’à Paris, Lyon, Grenoble, Nîmes, Metz. Voir, en annexe, les procès de Tony Orengo. Tony, arrêté le 4 novembre 1959, fait partie des réfractaires qui ont rejoint l’ACNV par la suite.

Christiane et Jean Pezet
Couverture du livre de Jean Pezet.
Tony Orengo
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Voir, en annexe, témoignages à leurs procès.
Texte intégral du livre de Jean Pezet en cliquant ici.
Dans son livre, on apprend qu’il avait résilié son sursis le 27 septembre 1960, pour prendre position contre la guerre d’Algérie. Cette décision n’a pas été facile à prendre car il ne connaissait alors rien des autres refus. Ayant, par la suite, appris l’existence de l’ACNV, il la rejoint.

24 avril 1961

avril 1961
Un appel financier

Lors de l’insurrection militaire d’Alger, étant donné la menace de guerre civile, l’action est provisoirement suspendue et le chantier fermé.

25 avril 1961
Pour ne pas occuper la police à des recherches d’identités au moment où elle doit se consacrer exclusivement au maintien de l’ordre, Jo Pyronnet donne au juge d’instruction d’Aix, l’identité de X3 détenu depuis le 7 mars, pour avoir manifesté sa solidarité avec René Nazon : c’est Antoine Robini. Il est libéré le jour même.

André Bernard, n’étant plus sur le chantier, avise la direction de la justice militaire qu’il est prêt à se livrer sur présentation d’un mandat d’arrêt, et donne une adresse permettant de le joindre. Il est décidé que les volontaires se disperseront pour être à la disposition des amis des diverses villes.

2 mai 1961

Après la capitulation des insurgés, réouverture du chantier dans le bidonville du Canet, à Marseille, mais sans André Bernard, afin de remettre à plus tard l’offensive. Le travail de ramassage des ordures se poursuit. Une dizaine de mètres cubes ont déjà été enfouis. Des cabinets vont être installés à plusieurs endroits.

Jean-Pierre Hémon, qui a reçu son ordre d’appel sous les drapeaux pour le 3 mai le renvoie, mais ne rejoindra le chantier que si la gendarmerie le recherche, à moins que l’action de désobéissance ne reprenne avant pour d’autres raisons.

8 mai 1961
Porte d’Aix à Marseille

5 mai 1961

Les gendarmes se présentent sur le chantier avec un mandat d’arrêt au nom d’André Bernard. Les volontaires promettent qu’André se présentera le mardi suivant au plus tard.

8 mai 1961

« Nous sommes tous André Bernard »

A 18 h 30, les sept André Bernard s’enchaînent devant l’arc de triomphe de la Porte d’Aix, à Marseille, sous une banderole portant l’inscription : « Volontaire pour un service civil – Réfractaire au service militaire – André Bernard revient de l’étranger – Nous nous constituons prisonniers avec lui ».

Un ami prévient la gendarmerie du quartier qui refuse de se déplacer, tandis que d’autres distribuent 6 000 tracts. A 20 heures seulement arrive un car de police-secours. Les André Bernard sont déchaînés et embarqués courtoisement, ainsi que trois autres personnes qui refusaient de circuler. Ils sont tous conduits rue de l’Évêché et transférés dans les sous-sols de la prison du dépôt. Ceux qui n’ont d’autre identité que celle d’André Bernard sont baptisés X1, X2, etc.

Lettre d’Aristide Lapeyre à André
Billet d’écrou d’André Bernard

11 mai 1961

Après avoir subi de nombreux interrogatoires, les dix sont menés le mercredi après-midi au palais de justice, devant le procureur de la République. Les trois personnes identifiées sont relâchées, et bientôt après, les sept André Bernard… qui doivent promettre de se présenter à nouveau au palais de justice le vendredi matin.

13 mai 1961

Le procureur ayant en sa possession une photocopie d’une carte d’identité d’André le retient sur foi de cette pièce, et met les six autres dehors, sans papiers et sans inculpation… André Bernard est d’abord interné aux Baumettes. Il est ensuite transféré à Bordeaux.

24 mai 1961

André Bernard, [après un jugement par défaut en date du 15 avril 1959], est jugé par le tribunal militaire de Bordeaux pour « insoumission en temps de paix ». Il est condamné à un an de prison avec sursis, mais reconduit aussitôt après à la caserne, pour lui présenter à nouveau les habits militaires…
Voir compte rendu en annexe.

"Le Midi libre" du 21 mai 1961
Annonce de la réunion ci-contre
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Témoignage recueilli après notre rencontre de 2003

Simone Pacot et Philippe Vernier au procès d’Eric Pot.

Se remémorant cette période, Irène Pot raconte :

« En tant que fille d’Henriette et de Philippe Vernier, pasteur à Maubeuge, j’ai trempé dans le pacifisme et l’idée de l’objection de conscience en général depuis toujours puisque mon père a fait cinq ans de prison pour cela pendant la période de 1933 à 1940.

« J’étais moi-même impliquée dans des groupes de jeunes de ma paroisse, je participais à des chantiers de service civil. Ensuite, avec la guerre d’Algérie, j’ai eu peur lorsque mon père passait des clandestins, des insoumis ou des déserteurs à la frontière belge.

« Quand Eric a annoncé son refus de prendre l’habit militaire, je n’ai pas été étonnée, on était très amis et nous discutions beaucoup. J’ai cependant connu des moments difficiles. À l’école où j’étais institutrice, certains considéraient Eric comme un planqué, un lâche, incapable de défendre son pays, contaminé par mon père... pendant que ses copains se faisaient tuer en Algérie.

« Les visites à la prison n’étaient pas nombreuses vu la distance – j’étais à Maubeuge, Eric à Toulouse – et plutôt éprouvantes. Heureusement, on s’écrivait beaucoup, et j’ai l’impression que c’est lui qui m’a soutenue plus que l’inverse. »

(Extrait de notre livre)

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Témoignage recueilli après notre rencontre de 2003

Christiane Pezet raconte :

« Au départ, c’était difficile. Dans ma famille, il y avait beaucoup de militaires. Auprès de mes collègues de travail, l’absence, parfois longue, entre deux courriers de Jean (pour cause de censure), les faisait plaisanter. Par la suite, grâce aux soutiens reçus de Marie Faugeron et de Marie Laffranque, les choses allaient mieux, et je participais activement à la préparation des procès et aux diverses manifestations de l’ACNV dans la région. »

(Extrait de notre livre)

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