Réfractaires non-violents à la guerre d’Algérie
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L’accueil des réfractaires par l’Action civique non violente, fin 1960
Article mis en ligne le 29 novembre 2008
dernière modification le 16 juillet 2020

par A.B.

Contexte politique

Des jeunes militants essaient de mobiliser pour des actions de refus de la guerre, mais les organisations politiques et syndicales se cantonnent à signer des pétitions et à manifester un anticolonialisme de principe. Les difficultés sont grandes...

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Pour un service civil en Algérie

Fin 1960

Qu’est-ce qui va amener l’Action civique non violente à s’engager dans ce nouveau combat avec les jeunes qui refusent de partir en Algérie ? Tout simplement la demande d’un soldat qui ronge son frein dans une caserne du côté de Mourmelon.

(Extrait de notre livre, p. 53-55) Voir rubrique.

L’histoire de Pierre et Elisabeth

Pierre Boisgontier, issu du militantisme étudiant et de l’anticolonialisme, est président de l’Assemblée générale de l’Unef de Nancy en octobre 1958. Son but est d’amener le syndicalisme étudiant à élargir ses vues corporatistes pour une ouverture sur le drame algérien. En 1957-1958, il est responsable du journal Nancy étudiant qui diffuse à environ 2 500 exemplaires.

En 1958, Pierre fait la connaissance d’Élisabeth Jansem, militante à la corpo de lettres. Elle partage ses points de vue et a déjà participé à des actions de l’ACNV contre les camps d’internement. Elle fait également partie des amis du journal Témoignage chrétien.

Pierre Boisgontier
Elisabeth Jansem

Pierre, incorporé au service de santé des armées, à Toul, fin octobre 1959, annonce sa décision de ne pas porter les armes aussi longtemps que durera la guerre d’Algérie. Il lui est donné de choisir entre la prison ou être infirmier parachutiste, il accepte la deuxième solution. Muté à Pau, pour une formation, il y rencontre Alain Normand (objecteur évangéliste) qui va jouer, sans le savoir, un rôle important dans les décisions qui seront prises par la suite. Ils reviennent ensemble à Toul et font la connaissance d’André Gazut, lui aussi infirmier parachutiste qui, par la suite, a raconté la guerre d’Algérie dans son film, Pacification en Algérie (diffusé sur Arte le 12 février 2003). Ils sont au moins trois à pouvoir échanger leurs idées sur des bases semblables.
C’est à ce moment-là qu’est née, chez eux, l’idée d’un service civil de remplacement...

Et, à l’occasion du tremblement de terre d’Agadir de février 1960, ils se portent volontaires pour les secours. Mais, finalement, Pierre se retrouve seul, affecté pour le reste de son temps, soit deux ans, à Mourmelon. En tant que fils d’un officier tué en 1940, il était dispensé de l’obligation de combattre en Algérie.

Alain Normand, d’Algérie, lui écrit et explique ce qu’on l’oblige à faire en tant qu’infirmier parachutiste ; à savoir, réanimer, à grand renfort de piqûres intracardiaques, les suspects évanouis sous la torture.

Pierre rencontre à ce moment Alain Zarudiansky, étudiant en 3e année à l’École supérieure de physique et chimie industrielles de la ville de Paris (ESPCI) et membre du PSU, qui milite au sein du groupe Témoignages et Documents (dirigé par Maurice Pagat, qui édite et distribue illégalement, dans les lieux publics, les témoignages qui dénoncent la torture et les exactions en Algérie).

Décidés à mobiliser les jeunes pour toutes actions de refus de la guerre d’Algérie, Alain et Pierre se répartissent, pour la durée des vacances de l’été en cours, la tâche de relance, de recrutement et de mobilisation des forces qui leur sont proches : principalement le PSU pour Alain et les non-violents pour Pierre.

Des contacts sont pris avec les organisations politiques et la hiérarchie catholique ; avec, à chaque fois, des réponses dilatoires. À l’époque, l’Unef est tenue surtout par la Jec (Jeunesse étudiante chrétienne) et par des membres du Parti socialiste unifié nouvellement constitué, ainsi que par divers groupes d’une gauche protestataire.

Par l’intermédiaire du Comité pour la reconnaissance légale de l’objection de conscience, ils établissent un contact avec Henri Cheyrouze (déjà en prison) qui, comme eux, souhaite une action collective (voir annexe).

Les coups de crosse de la hiérarchie catholique découragent les chrétiens. De son côté, le Parti communiste « fait très fort » en dénonçant
ses insoumis et en leur enjoignant de rejoindre l’armée. La gauche, en général, se cantonne à signer des pétitions et à manifester un anticolonialisme de principe, freinée qu’elle est par le légalisme.
Ceux qui ne disent rien sont parfois les plus engagés dans le soutien, à la désertion par exemple, ou dans les réseaux clandestins. Les difficultés sont grandes...

En août 1960, Pierre décide, en accord avec Élisabeth, de déserter. Avant, ils se marient. À la veille de la rentrée scolaire, Alain, Pierre et élisabeth se retrouvent pratiquement seuls à faire le bilan de leur infructueuse mobilisation.

En septembre 1960, l’ACNV est fortement sollicitée par Pierre et Élisabeth et une rencontre a lieu entre eux (et leurs amis) et les responsables de l’ACNV, pour tenter d’harmoniser leurs projets (voir annexe).

L’ACNV se dotera alors de nouvelles structures pour faire face à cet enjeu. La condition de base, essentielle, qu’exigeaient ses animateurs était de respecter une attitude non violente pendant la durée de l’action et également de s’engager jusqu’à la fin de la guerre.

Communiqué de presse du 26 octobre 1960

L’ACNV, élabore donc le projet suivant : Un Appel public [1]
est rédigé qui s’adresse aux jeunes et aussi aux adultes qui veulent les soutenir :

– Les jeunes, « qui ne doutent plus que le combat militaire soit maintenant inutile et seulement destructeur, qui refusent au nom de leur conscience d’y participer et cherchent une action efficace », sont appelés à ne pas passer à l’étranger, à ne pas entrer dans la clandestinité, mais à réclamer le droit de faire en Algérie un travail constructif, même dangereux.

– Tous les Français qui veulent la paix sont appelés à manifester leur solidarité avec ces jeunes en renvoyant leur livret militaire, en organisant des manifestations et des chantiers dans leurs villes. Les adultes non mobilisables peuvent soit rejoindre les jeunes sur le chantier, soit prendre plus de risques en signant l’Appel et la Lettre au président de la République.

Pour les jeunes désirant alors entrer ainsi dans l’action proposée est rédigé un Engagement à travailler, dès maintenant, en France, sur un chantier de service civil, à faire connaître leur situation aux autorités militaires et à accepter les sanctions prévues par la loi (voir annexe).

Journal de l’ACNV, n° 8, novembre 1960
"Le Monde", sans date, parle des lettres envoyées au président de la République

Une structure souple, à plusieurs niveaux, est mise en place pour accueillir des « mobilisables » ou rappelés et éventuels futurs réfractaires.

Le premier cercle est donc constitué par ces jeunes que l’on appellera les « réfractaires ».

Un deuxième cercle est constitué par ceux qui, ayant passé l’âge du service militaire, se libèrent de leurs obligations professionnelles pour soutenir les premiers. Cette équipe constitue le groupe de base du secrétariat et sur les chantiers.Cette solidarité active pouvant aller jusqu’à la désobéissance civile avec les risques de sanctions que cela implique.
Sur les chantiers, et par moment en prison, il y avaient : Jo Pyronnet, Claude Michel, Michel Lefeuvre, Georges Abadia, Jean Rogier, Jacques Drouet et Antoine Robini.

Un troisième cercle, de personnes moins engagées, gravitant autour des deux premiers, leur apporte une aide plus ponctuelle, physique, morale et financière (voir annexe).

Dans ce troisième cercle, nous trouvons tous les groupes de l’ACNV de province, les groupes des Amis de l’Arche ainsi que les familles qui approuvaient cette action (voir annexe).

Pour coordonner les différents cercles et les individus isolés un secrétariat est installé à Vanves, en banlieue parisienne (avec les animatrices Marie Faugeron,Anne-Marie Ressouches et Simone Pacot qui partageait son temps entre le secrétariat et les chantiers) ; il devient en quelque sorte l’état-major du mouvement.

Voir le témoignage d’Anne-Marie en fin de rubrique.

Anne-Marie Ressouches
Marie Faugeron

Dans le journal de l’ACNV (trimestriel, tiré à 10.000 exemplaires) est créée une rubrique avec des intitulées diverses ( « Trois mois dans les avant-postes », « De Bordeaux à Lyon » etc.), qui présente un résumé quotidien de l’action : c’est en suivant au plus près ces textes (parus dans les numéro 9 à 18, mars 1961-octobre 1963) que ce site a d’abord été créé. Nous y avons ensuite rajouté des documents et des photos retrouvés ultérieurement.

Trois mois dans les avant-postes

14 octobre 1960

Les réfractaires et les volontaires commencent le travail dans le bourg de Terrasson (Dordogne) qui vient d’être inondé. Il s’agit surtout de nettoyer et de sauver ce qui peut être sauvé des récoltes avant qu’elles pourrissent. Ils sont là une douzaine dont trois jeunes (Pierre Boisgontier, Jack Muir et Jean-Pierre Hémon). Cécile est arrivée de La Chesnaie pour jouer le rôle de maîtresse de maison. Ils sont hébergés par la municipalité, qui a réquisitionné pour eux l’auberge de jeunesse du village.

Le chantier à Terrasson avec Pierre Boisgontier
Article dans « Faim & soif », n° 37, fin 1960

Voir le témoignage d’Elisabeth en fin de rubrique.

20 octobre 1960

« Nous sommes tous Pierre Boisgontier »

Pierre Boisgontier est arrêté. Ses compagnons, se déclarant solidaires de lui, affirment : « Nous sommes tous Pierre Boisgontier » et refusent de présenter leurs pièces d’identité.
Ils sont séparés de lui par la force. Le soir-même, ils se présentent sur le quai de la gare de Brive, où arrive le train qui doit emporter Pierre. Ils se mettent autour de leur ami et parviennent, sans répondre aux coups, à ne pas se séparer de lui : le train part, sans eux.

Des renforts de police accourent. Pierre se retrouve lié à un des volontaires par une paire de menottes.
Pierre part par le train suivant à destination de Mourmelon. Les volontaires seront relâchés le lendemain soir…

Et le travail continue…

27 octobre 1960

Journée pour la paix en Algérie. L’équipe du chantier-pilote s’y associe par un jeûne sur la place publique de Terrasson.
L’arrestation de Pierre a eu un grand écho dans la région. La population manifeste intérêt et compréhension pour l’action. Les volontaires sont encouragés sans réticences.
Pierre est en cellule à la caserne de Mourmelon.

Jack Muir reçoit sa feuille de route, le convoquant à Lille pour le 3 novembre ; il la renvoie immédiatement en y joignant une lettre qui expose les motifs de sa prise de position.

"Le Midi libre" en octobre 1960
Extrait du journal de l’ACNV, n° 9, mars 1961

A Gagny : Claude Michel, Jacques Drouet, Jean-Pierre Hémon, Antoine Robini, Cécile Baudonnel, Jo Pyronnet, Georges Abadia, Victor Savary, Michel Lefeuvre. Derrière : Paul Grosz, Bernard Gaschard

2 novembre 1960

Les volontaires, qui ont quitté Terrasson le 31 octobre, ouvrent un nouveau chantier au Chenay-Gagny, dans la banlieue parisienne. Voir l’article intitulé : « Sur le chantier-pilote… »

15 novembre 1960
Les gendarmes sont venus voir Jack Muir. Le dernier délai qui lui est accordé pour rejoindre sa caserne est le 15 décembre. Le travail entrepris, incontestablement nécessaire, commence à transformer le visage de la cité.

26 novembre 1960

Pierre Boisgontier est transféré à la prison de Metz : les sanctions militaires arbitraires sont terminées pour lui. Voir l’article : « La prison, cette délivrance ! », écrit par Pierre Martin qui connut l’expérience de la prison quelque vingt années plus tôt.

La prison, cette délivrance !

Pierre Martin

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, des hommes aspirent à voir une porte de prison se refermer derrière eux, aspirent à ce moment où ils se trouveront parmi des voleurs et des assassins, sous la contrainte des gardiens. Ils y aspirent comme à une délivrance.

Ce sont les jeunes Français qui, ayant refusé de porter le costume militaire, sont jetés dans une cellule pénitentiaire de l’armée. Ils y sont soumis à l’arbitraire le plus pur, au secret le plus strict, afin qu’ils pâtissent plus sûrement des brimades, des tortures morales et des chantages par lesquels on espère les briser.

Aucun membre de leur famille, aucun avocat, aucun juge d’instruction ne peut les voir ou correspondre avec eux pendant cette période où ils sont rayés du monde des vivants.

Voilà un homme que l’on enferme dans un local glacé, sans vitres, que l’on nourrit à peine, qui se couche sur un bat-flanc avec une vieille couverture en guise de literie. Jour après jour, ses tortionnaires viennent juger de sa faiblesse : « Avoue que tu es un lâche. Avoue que tu es un traître ! Mais reconnais-le donc, imbécile ! Après, tu pourras voir ta femme !… Tu pourras aussi assister à la messe, puisque tu as l’air de tant y tenir ! »

Pour Pierre Boisgontier, cela a duré vingt-quatre jours, avant que la prison de Metz l’accueille comme un havre où l’on mange, où l’on peut dormir, où l’on peut se laver, et où parents et avocats peuvent venir vous visiter.

C’est une pratique courante. Lorsque je suis passé par les mêmes péripéties, on avait même poussé le machiavélisme jusqu’à supprimer toute aération en obturant les orifices avec une couverture. Jean Giono avait alors lancé sa célèbre invective : « La schlague nazie est moins hypocrite que la couverture avec laquelle on étouffe les objecteurs de conscience. »

Si vous consultez un juriste au sujet de cette situation intolérable, il vous répond, impuissant : « Que sa famille demande son inculpation, afin qu’un juge d’instruction prenne connaissance de son cas, et qu’il retombe dans le circuit légal. »

C’est donc une mère ou une épouse qui va prier le juge d’instruction de faire mettre en prison l’être qui lui est cher, afin de lui éviter cet excès de souffrances !

C’est donc l’administration pénitentiaire qui va leur redonner des droits, à ces numéros matricules !

Quelle sublime ironie !

(Journal de l’ACNV, n° 9, mars 1961)

Pour plus d’information sur les conditions de détention, vour rubrique

Claude « Caribou » Michel écrit à Daniel Wintrebert

1er décembre 1960

Paul Grosz
Victor Savary

Deux nouveaux jeunes réfractaires ont rejoint le chantier. Il s’agit de Paul Grosz, 20 ans, monteur-électricien, qui vient de résilier son sursis, et de Victor Savary, qui vient de renvoyer la convocation qui l’appelait le 24 novembre à Lyon, pour les trois jours de pré-orientation. Voir sa lettre.

3 décembre 1960

Pierre Boisgontier est inculpé de « refus d’obéissance ». Le jugement est prévu pour fin janvier.

8 décembre 1960

A la suite de l’inculpation de Pierre Boisgontier, sept volontaires du chantier se présentent à la direction de la justice militaire, se disent solidaires de Boisgontier et demandent à partager son sort. Reçus par le directeur, ils affirment leur décision de ne quitter les lieux que sur présentation du mandat d’amener. Ils sont emmenés de force au commissariat et relâchés malgré eux à 21 h 30.

Victor Savary reçoit une nouvelle convocation pour trois jours de pré-orientation du 13 au 16 décembre à Vincennes. Il la renvoie comme la première.

« Nous sommes tous Jack Muir »

"Esprit", n° 3, mars 1961, voir annexe.
"Le Midi libre" du 19 décembre 1960
Attachés aux grilles du jardin de Cluny : Jo Pyronnet, Jack Muir, Antoine Robini et Paul Grosz

15 décembre 1960

Jack Muir devant être arrêté le 15, jeunes et volontaires du chantier ont décidé de se faire arrêter avec lui.
A 14 h 30, onze d’entre eux s’enchaînent ensemble aux grilles du jardin de Cluny, le long du boulevard Saint-Michel.
Au-dessus d’eux, une banderole indique : « Pour la paix en Algérie par un service civil – Jack Muir va en prison. – Nous sommes tous Jack Muir. »
Vers 15 heures, la police les emmène après avoir brisé les chaînes. Trois distributeurs de tracts sont également emmenés.
Les 14 personnes ainsi arrêtées, qui ne portent sur elles aucun papier, refusent de donner une autre identité que celle de Jack Muir.

17 décembre 1960

Le chantier de Gagny est provisoirement fermé. Les 14 X… sont transférés à la Santé et à la Roquette. Le juge se refuse à les revoir tant qu’ils ne seront pas identifiés tous les 14.

21 décembre 1960

Jacques Tinel est reçu par le ministre de la Justice ; l’entrevue s’avère intéressante. Le chantier repart, la relève ayant été assurée. Six volontaires sont présents.

22 décembre 1960

Sur les 14 personnes arrêtées, 10 sont déjà identifiées (en particulier celles qui avaient participé à nos manifestations du printemps). Jaques Tinel, qui avait déjà été entendu la veille au soir, est gardé à vue toute la journée, à cause de son refus de donner les noms qui manquent. Une perquisition a lieu à son domicile, et Émilienne [Tinel] est également entendue. (Voir le sens de leur engagement.) Les officiers de police chargés de l’enquête comprennent rapidement le sens profond de notre action, et passent de l’animosité à la sympathie.

Jean Lagrave

23 décembre 1960

Marie Faugeron subit le même interrogatoire. Même réponse : « Nous ne pouvons que respecter la décision de nos amis de témoigner ainsi leur solidarité avec Jack Muir. »

Christian et Françoise Fiquet

26 décembre

Les policiers viennent sur le chantier interroger Jean Rogier et Claude Michel. Quelques papiers trouvés au cours de la perquisition leur
permettent de confirmer les renseignements précédemment obtenus au cours de leurs recherches. Ils sont maintenant en possession de toutes les identités.

27 décembre 1960

Le chantier accueille deux nouveaux réfractaires sur le point de partir en Algérie. Il s’agit de Jean Lagrave, parachutiste à Montauban depuis janvier 1960, et de Christian Fiquet, soldat à Trèves depuis septembre 1959. Ils ont renvoyé leurs habits militaires et indiqué à leurs anciens
chefs le lieu où ils se trouvaient.

L’année se termine par un rassemblement silencieux à minuit (voir annexe).

Témoignage recueilli après notre rencontre de 2003

Anne-Marie explique pourquoi elle a rejoint l’ACNV :

« Rien, a priori, ne m’avait prédisposée à m’intéresser de près ou de loin à la politique. Cela ne me concernait pas. [...]

« Le présent, pour moi, était flou, l’avenir incertain. C’est à ce moment-là, à Grenoble, que j’ai rencontré Lanza del Vasto. Presque soudainement quelque chose en moi s’est révélé... Je me rencontrais différemment et commençais à m’accepter, à prendre confiance en moi, en la vie. La guerre d’Algérie battait son plein. On torturait dur à la prison de Grenoble et l’on disait que les gens du quartier, pour ne rien entendre, mettaient un peu plus fort leur radio ou leur télévision. Les cris des torturés, à quelques centaines de mètres de moi, étouffés par la lâcheté ou l’indifférence... je n’avais pas le choix. Ou je faisais comme si de rien n’était ou bien je faisais quelque chose pour protester, arrêter ça, me sentir solidaire. Solidaire. C’est peut-être cette notion qui, lentement, précisément, s’était mise à m’habiter. »

(Extrait de notre livre)

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Témoignage recueilli après notre rencontre de 2003

Quand Pierre Boisgontier part sur le premier chantier de l’ACNV, Élisabeth Jansem s’installe et travaille au secrétariat à Vanves. Elle participe à toutes les tâches nécessaires à l’organisation du soutien aux réfractaires et, en même temps, elle se sent elle-même très soutenue par cette équipe composée de personnes ayant entre dix et quinze ans de plus qu’elle. En y réfléchissant, quarante ans après, elle dit :

« On ne m’a jamais demandé de faire quelque chose d’exceptionnel, uniquement un travail d’information, de rencontres, de communication. Marie et Michel conservaient un calme et une sérénité en toutes circonstances.

« La pugnacité de ma belle-mère n’a jamais faibli tout au long de cette action, et mon père m’envoyait un petit chèque tous les mois. J’attendais donc avec confiance la victoire, sans douter un instant de la justesse de la cause. »

(Extrait de notre livre)

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Voir les annexes de fin 1960