Réfractaires non-violents à la guerre d’Algérie
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2017 : Château de Ligoure (près de Limoges)
Quelques rencontres-débats
Article mis en ligne le 16 juillet 2017
dernière modification le 31 juillet 2020

par A.B.
André Bernard

C’est dans ce cadre magnifique que le CIRA (Centre international de recherches sur l’anarchisme) de Limoges tient ses librairies champêtres chaque été : André et Anita Bernard y ont déjà tenu des tables de presse. Le premier week-end de juillet 2017, André a été invité à animer un débat sur « la résistance à la guerre d’Algérie »

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On m’a demandé de faire un topo d’une quinzaine de minutes sur mon expérience de résistance à la guerre d’Algérie. Après cela, nous pourrons en débattre. Rappelons que, par la conscription, les jeunes hommes avaient à l’époque l’obligation d’être soldat et qu’il y en eut quelque 25 000 qui sont morts dans cette guerre avec environ 400 000 morts du côté algérien. Dans Convergence, n° 354, le magazine du Secours populaire de mai-juin 2017, il est écrit qu’il y eut 11 000 insoumis ou objecteurs à cette guerre. C’est pour le moins à nuancer…
Rappelons tout d’abord qu’à La Villedieu, tout près d’ici, en 1956, des appelés mirent la crosse en l’air avec la solidarité du maire et de l’instituteur qui allèrent en prison (Voir Mémoire à vif ci-dessous).

Une rencontre organisée par « Mémoire à vif » au printemps 2006
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Il y a environ cinq ans, un ami a donné mon adresse à quelqu’un qui avait fait cette guerre et qui, depuis, n’était pas bien dans ses baskets et qui, avec d’autres, voulait publier un livre de témoignages sur ce qu’ils avaient vécu là-bas.

Donc, pendant tout un week-end, nous avons discuté sur la façon pratique de procéder, et, finalement, le livre a été publié en 2012. Il a pour titre : Guerre d’Algérie, guerre d’indépendance.

Mais, pendant ce week-end, nous avons eu le temps de sympathiser… et, à un certain moment, la personne en question m’a dit : « Mais nous avons à peu près le même âge toi et moi. Toi, qu’est-ce que tu as fait pendant cette guerre ? »
Après ce que lui-même m’avait raconté, il n’était pas facile de lui dire que j’avais refusé de participer à cette guerre, mais je lui ai quand même brièvement raconté mon histoire.
Il y eut alors un grand silence au bout duquel il me dit : « Mais c’est inimaginable ! C’était inimaginable à l’époque ! » Et il m’expliqua qu’étant donné son éducation familiale, le passage à l’école de la République de Jules Ferry et son éducation civique et patriotique, et, par ailleurs, le formatage à l’obéissance par l’Église catholique, il était, à son âge, impossible de ne pas suivre le mouvement général.
Rappelons également qu’on ne pouvait s’appuyer sur aucun parti politique ; que ce soit le Parti communiste, que ce soit le Parti socialiste, que ce soient d’autres partis ; tous, quasiment, étaient favorables à cette guerre ou n’était contre qu’en paroles.
C’est alors qu’il me demanda : « Mais, toi, comment as-tu fait ? »
Eh bien, lui ai-je dit : « je l’ai raconté dans un petit livre intitulé : Être anarchiste oblige ! »

En bref, il faut dire que j’avais très tôt rencontré des anarchistes et que je n’avais aucune aptitude pour obéir aveuglément aux ordres et que je n’avais aucune envie de marcher au pas. Dans un premier temps, donc, en octobre 1956, je me suis réfugié en Suisse ; j’ai été ce qu’on appelle un insoumis militaire. Et c’est à Genève que, moi, jeune anarchiste, je me suis intéressé à la non-violence par l’intermédiaire d’un livre d’un disciple de Gandhi, Vinoba Bhavé.

En Suisse, j’y suis resté environ trois ans.
À Genève, il existait ce que je ne nommerai pas un réseau, mais des personnes très différentes, des chrétiens, des anarchistes, des socialistes, des membres de la ligue des droits de l’homme et des gens sans étiquette, etc. Tous se connaissant et se faisant confiance, tous très solidaires. Et c’est en Suisse que j’ai fait la connaissance du Service civil international et que j’ai participé à ses chantiers (Je pourrais aussi faire une parenthèse sur le réseau Jeune Résistance d’aide aux déserteurs, insoumis, etc. auquel j’ai brièvement participé).

Puis je suis allé en Belgique pendant environ un an pour rencontrer Hem Day, quelqu’un qui défendait et la non-violence et l’anarchisme. Dans ce pays, on pouvait retrouver à l’identique, ou presque, ces réseaux informels.
C’est en Belgique que j’ai appris que, depuis peu, existait en France une organisation de soutien aux jeunes qui refusaient de partir en Algérie ; c’était l’Action civique non-violente.
L’important, pour moi, c’était de transformer une action individuelle en action collective.
L’ACNV avait déjà organisé les premières manifestations non-violentes de désobéissance civile en France contre les camps d’assignation à résidence pour les Algériens suspects, contre la bombe, contre la torture, etc.

En avril 1961, j’ai alors pris la décision de rentrer en France et d’y participer. Là encore, cette histoire collective est racontée dans un autre livre : Réfractaires non-violents à la guerre d’Algérie, 1959-1963. Et aussi dans un DVD : Comme un seul homme.
Pourquoi avons-nous décidé d’écrire le livre ? Parce que, dans les années qui ont suivi les faits, ceux-ci ont souvent été relatés d’une façon tronquée, erronée ou confuse : par exemple en nous confondant avec les témoins de Jéhovah.

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J’étais donc revenu clandestinement en France et je travaillais dans une maison de jeunes, chantier organisé par l’ACNV, en Seine-et-Marne ; cela après avoir prévenu les autorités qu’elles pouvaient venir me cueillir... Si ce qui caractérisait notre action collective, c’était bien sûr de refuser cette guerre, nous ajoutions que chacun se portait volontaire pour effectuer un service civil en Algérie. Il s’agissait de transformer ce refus, qui pouvait paraître négatif aux yeux de l’opinion publique, en une proposition positive.
Par ailleurs, il était demandé à chacun, pendant le temps de l’action, de respecter la non-violence. Mais, l’essentiel, à mon point de vue, c’est qu’il y avait une solidarité pratique et concrète d’une qualité pour le moins exceptionnelle. Exemple :

Les 7 André Bernard sur le chantier, avril 1961

Alors que nous étions à quelques-uns à discuter dans une pièce, les gendarmes firent irruption et demandèrent, sans savoir à qui s’adresser, à l’insoumis que j’étais de les suivre.
Je me levais. Au même moment, six autres gaillards se levaient prétendant être moi. Nous étions tous sans papiers. Les gendarmes n’en voulaient qu’un. Ne sachant que faire, ils finirent par nous laisser là et partirent demander des ordres à leur hiérarchie.
Après tout ce temps, je suis toujours très ému de raconter cette histoire.

J’ai fini par être arrêté à Marseille ; nous étions les sept enchaînés sur la place d’Aix. Bien sûr, l’histoire est plus longue.
Mais cette histoire s’est reproduite, de façon différente, avec des épisodes autres, pour les autres réfractaires. En bref, des adultes dégagés de leurs obligations militaires ou des plus jeunes pas encore appelés à l’armée se présentaient sans papiers devant les autorités en revendiquant l’identité d’un réfractaire et se tenant prêts à le suivre en prison le temps nécessaire. L’affaire pouvait durer plusieurs semaines, plusieurs mois, le temps de départager le coupable du reste de la troupe. Ainsi y eut-il « douze Jack Muir », « six Michel Hanniet », « sept André Bernard », « quatre Christian Fiquet et Jean Lagrave » et d’autres encore.
Mais, ce qu’il faut dire, et certains le regrettent encore, c’est que nous n’avons été qu’une trentaine de réfractaires non-violents. D’après certains historiens, il y aurait eu environ de 300 à 13 000 déserteurs et insoumis pendant cette période.
Une trentaine mais soutenue par une structure souple et qui présentait plusieurs niveaux de cercles concentriques permettant à chacun un engagement proportionné à sa force, à son âge ou à sa disponibilité.

Un premier cercle était donc constitué par ces jeunes que l’on appelait « réfractaires ».

Un deuxième cercle était constitué par des hommes qui, ayant passé l’âge du service militaire, se libéraient de leurs obligations professionnelles pour soutenir les premiers. Ils furent ceux que l’on nomma les « solidaires ».

Dans le troisième cercle, il y avait d’abord les hommes et les femmes qui s’étaient également libérés de leurs obligations familiales et professionnelles pour être des permanents sur les chantiers organisés par l’ACNV et au secrétariat parisien qui coordonnait les différents cercles et les individus isolés.
Mais il y avait aussi des personnes moins engagées physiquement qui apportaient une aide plus ponctuelle, physique, morale ou financière.

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Comment cela s’est-il terminé ? D’abord par la fin de la guerre. Disons, maintenant, qu’en parallèle, Louis Lecoin avait lancé une action pour un statut de l’objection de conscience. L’été 1962, il entamait une grève de la faim pour hâter sa réalisation. Après vingt-deux jours, il jugeait les promesses données suffisamment solides pour arrêter.
De son côté, l’ACNV ne pouvait pas laisser tomber ceux qui n’avaient pas fini de purger leur condamnation et qui étaient à Mauzac en attendant les modalités d’application de la nouvelle loi. Mauzac, c’était en quelque sorte un ancien camp de concentration.
À un certain moment, furent libérés ceux qui avaient accompli les trois années de prison.

Ce livre, écrit par Michel Auvray, insoumis au service civil obligatoire, retrace l’histoire des réfractaires depuis l’Ancien Régime jusqu’en 1983

La mise en place d’un service civil fut très longue. Voir rubrique Après la promulgation du statut (en décembre 1963), tous les objecteurs furent convoqués lors de l’été 1964, à Brignoles (Var) dans le cadre de la Protection civile. Ils y furent très actifs lors des incendies de forêt, mais, en période creuse, rien n’était vraiment préparé pour les accueillir et leur proposer un travail utile. Sinon pour la Défense nationale ! De plus, très rapidement, on essaya de faire appliquer la discipline militaire ; la plupart des objecteurs s’opposèrent donc fermement à tout cela.
Si bien, qu’un beau matin, leur camp fut encerclé par des CRS qui les embarquèrent en caserne où ils furent emprisonnés. Une grève de la faim de quinze jours fut décidée et les objecteurs finirent par obtenir des affectations quasiment libres.
À partir de là, les objecteurs s’organisent eux-mêmes pour que le statut soit accessible au plus grand nombre et s’effectue réellement dans un cadre civil et ce jusqu’à la suppression du service militaire en 2002.
Un livre qui raconte cette nouvelle histoire va être publié. Elle se fera à partir de Lettres ronéotées et de différents courriers que les objecteurs envoyaient à leurs amis. Le titre en sera Civils, irréductiblement !

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L’avantage de vivre, sur la durée, une période historique riche en événements, c’est de pouvoir y discerner une évolution. Il est clair que les participants à l’Action civique non-violente ont été les premiers, en France, à mettre en pratique l’action collective non-violente précisément nommée. Il en est de même pour les termes de « désobéissance civile ». Ce qui ne veut pas dire que rien n’a existé de tel en France avant cela, mais de donner un nom à des pratiques et à des idées en change complètement la perspective.
S’il y a peut-être des créations spontanées, nous pouvons quand même constater que, depuis cette guerre, s’est installée une culture de la désobéissance qui s’est transmise de la petite trentaine de réfractaires aux milliers d’objecteurs qui refusèrent la discipline militaire et qui échappèrent à la machine militaire à décerveler. Le statut des objecteurs obtenu, certains d’entre eux passèrent le flambeau à une nouvelle génération, laissant en héritage l’exemple, à Brignoles et à Uzès, d’une action directe non-violente de désobéissance civile.

Il y a une filiation qui s’est continué sur le plateau du Larzac. Voir rubrique À noter, par ailleurs, des refus de payer l’impôt et différents renvois de livrets militaires et, il n’y a pas si longtemps, le refus de certains instituteurs d’appliquer des directives gouvernementales ; et j’en passe...

Pour finir, j’aimerais remonter à ce qui est pour moi une source ; je pense au Discours de la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie et à une seule phrase : « Soyez donc résolus à ne plus servir et vous voilà libres » écrivait-il en 1576.

Un enregistrement de ce topo a été fait. Il montrera dans quelle mesure j’ai suivi ou pas ce canevas dont je ne me suis pas servi sur le moment. La discussion et les questions qui ont suivi devraient dire ce qu’il en fut.

André Bernard

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