Réfractaires non-violents à la guerre d’Algérie
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Annexes 1957 - début 1960 : La Cavalerie en juin 1959
Article mis en ligne le 2 janvier 2012
dernière modification le 8 février 2015

par A.B.

Devant le camp militaire du Larzac où 5 000 Algérien dits « suspects » sont internés.

Extrait de notre livre.

François Vernier, frère du pasteur Philippe Vernier, nous écrit en février 2004 son témoignage :

Quelque temps avant la manifestation proposée par la communauté de l’Arche, résidant à l’époque près de Bollène dans le Vaucluse, Lanza del Vasto avait donné une conférence à Montpellier où s’étaient rendus trois Millavois.

À la suite de cette conférence, j’avais organisé, dans une salle de la mairie de Millau, un débat sur la non-violence et avais fait appel à Jo Pyronnet, « ami » de l’Arche, pour animer ce débat. Quelque trente Millavois furent présents.

Lorsque la communauté de l’Arche décida de la manifestation devant le camp d’assignation où les Maghrébins suspects au ministère de l’Intérieur étaient enfermés arbitrairement, tout naturellement Jo Pyronnet me contacta.

J’en informai mes amis millavois. Plusieurs ne purent s’engager à respecter le pacte de non-violence demandé par l’Arche si les forces de police en venaient aux coups ! En définitive, quatre Millavois participèrent au mouvement : André Delon, Gérard Deruy, Guy Héran et moi-même.

La communauté de l’Arche et les quatre Millavois, un dimanche matin, se retrouvèrent à La Cavalerie. Un propriétaire avait mis à leur disposition un terrain en plein village pour se rassembler et pique-niquer.

Après concertation, malgré l’interdiction de manifester devant le camp et de stationner sur la route, il fut décidé par tous que « l’on défilerait sur la route sans s’arrêter ».

Entre-temps, il était fait pression, par les autorités, sur le propriétaire pour qu’il demande l’expulsion des manifestants de son terrain. Courageusement, il répondit qu’il n’était pas question qu’il revienne sur la permission donnée.

En fin de matinée, les membres de l’Arche voulurent assister à la messe du village ; les quatre Millavois, par désir ou solidarité, y assistèrent, dont un protestant et un syndicaliste CGT libre-penseur !

Après le pique-nique, au tout début de l’après-midi, les manifestants entreprirent un aller et retour, « sans arrêt », sur la route du camp de détention, avec, parmi eux, des jeunes femmes de l’Arche, leurs bébés dans les bras.

Au retour, trois « compagnons » de l’Arche ont demandé, au poste de garde du camp, d’être « assignés à résidence » avec les Algériens. En guise de réponse, ils ont été chargés dans un camion militaire et libérés dans la nature à dix kilomètres de là...

Durant le défilé, derrière les barbelés, au coude à coude, les CRS armés jusqu’aux dents, impressionnants par leur nombre, proféraient toutes sortes de moqueries et commentaires plus ou moins injurieux contre les manifestants.

De retour sur leur terrain à La Cavalerie, après concertation, il fut proposé par l’un d’eux, et accepté par tous, de continuer la manifestation à Millau même. Le responsable, qui avait commandé l’autobus servant au transport depuis Bollène, demanda au chauffeur de bien vouloir transporter tout le groupe à Millau. Le chauffeur répondit que cela était impossible ; l’ordre de route mentionnant La Cavalerie, il lui était défendu d’aller à une autre destination.

L’ordre de route consulté alors révéla que Millau était indiqué en plus de La Cavalerie ! Le responsable de l’Arche ne se rappelait absolument pas l’avoir demandé ! Les membres de l’Arche y virent le doigt de Dieu !

À Millau, le car se rendit sur la place de La Capelle, et la manifestation,
femmes avec bébés dans les bras et hommes, se mit en marche vers la sous-préfecture, par le boulevard de Bonald, la place du Mandarous, l’avenue de la République, l’avenue Alfred-Merle, le plateau de la gare et la rue Pierre-Sémard.

C’était un dimanche où, dans le jardin de la mairie, se déroulait la kermesse des écoles publiques ; il y eut donc beaucoup de témoins pour regarder ce défilé non attendu avec ses banderoles. Par contre (effet de surprise), il n’y eut durant le défilé aucun agent de police ni CRS, ceux-ci restés à La Cavalerie croyant que c’en était terminé. À Millau, seul se trouvait l’effectif réduit (gendarmerie et police) du dimanche ! Enfin, au bout de la rue Pierre-Sémard, au coin de la sous-préfecture et de l’avenue de la République, arrivèrent en courant les deux gendarmes de service. Ils arrêtèrent le défilé et saisirent les banderoles.

Aussitôt, les manifestants firent un sit-in et demandèrent à un inspecteur de police, arrivé entre-temps du commissariat, d’avoir une entrevue avec le sous-préfet. Celui-ci, furieux, répondit « qu’il n’en était pas question ! » L’inspecteur plaida plusieurs fois, sans succès, auprès du sous-préfet pour recevoir la délégation. Chaque fois, la réponse fut « non » et la dernière donna « ordre aux gendarmes de mettre de force les manifestants dans leur autobus » arrivé sur réquisition jusqu’au lieu du sit-in.

Les deux gendarmes étaient complètement anéantis et déstabilisés d’avoir à exécuter un tel ordre, et ils nous suppliaient d’obtempérer sans avoir à intervenir : « Vous ne pouvez pas nous obliger à user de violence pour faire monter ces femmes avec leurs bébés dans les bras. Ce n’est pas possible ! »

Après discussion, il fut décidé d’accéder à leur demande : en fin de compte, le témoignage était passé et, « non violents », nous ne pouvions pas obliger les gendarmes à faire violence à leur conscience pour exécuter cet ordre. Nos amis de l’Arche reprirent donc la route de Bollène et les Millavois restèrent ! L’inspecteur de police qui avait tant insisté pour que la délégation fût reçue par le sous-préfet se vit muté de Millau peu après ! Sur sa demande ou sur ordre supérieur ?

Le lendemain, lundi, moi seul sur les quatre Millavois fus convoqué au commissariat de police. Le commissaire Saint-Cricq me reçut sans douceur et sans me saluer, comme un coupable de droit commun, m’avertissant « qu’une action en information était déjà dressée contre moi et qu’à la moindre nouvelle incartade elle sortirait du coffre-fort de la préfecture ». Il voulait aussi à tout prix savoir qui était le vrai responsable de l’idée et du montage de la manifestation. Très calmement, je lui répondis que « je souhaitais qu’on cesse de m’agresser comme un bandit, que la veille j’avais eu devant le camp une véritable épreuve à l’issue plus qu’incertaine et qu’aujourd’hui ma comparution n’avait aucune chance de m’intimider ». « Quant au responsable de la manifestation, disais-je, chaque manifestant était responsable pour son propre compte. Toutefois, s’il fallait en désigner un à tout prix, je croyais pouvoir nommer Jésus-Christ dont l’Évangile avait servi à la prise de décision de la plupart d’entre nous. »

Voir suite du témoignage de François Vernier dans rubrique
Voir aussi l’appel aux volontaires pour renforcer l’action