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Isabelle Sommier : la Violence politique et son deuil
Notes de lecture
Article mis en ligne le 30 décembre 2011
dernière modification le 13 octobre 2016

par A.B.

Sous-titré : L’après-68 en France et en Italie

Presses universitaires de Rennes, 2008, 256 p.

« Faire le deuil de la violence », dit-elle

Nous avons tous vécu, à un moment ou à un autre, avec la conviction que la violence était la seule et grande accoucheuse de l’Histoire. Pas de révolution sans violence ! Et, comme le devoir d’un révolutionnaire est de faire la révolution, la violence, qu’on l’aime ou ne l’aime pas, devient une nécessité historique et éthique ; la seule voie tracée pour que le monde marche vers plus de justice.

Cette conviction est encore portée par nombre de militants qui peuvent y ajouter cette belle formule : « L’arme de la critique ne saurait remplacer la critique des armes » (p. 187).

Que le pouvoir politique soit au bout du fusil, que la critique des armes puisse mettre à bas la « légalité bourgeoise » pour installer sans doute la légalité des armes, on peut le penser.

Que ce discours soit porté par ceux qui cherchent à conquérir le pouvoir de l’État va de soi.

Mais que les anarchistes cherchent à prendre le pouvoir politique, non ! Leur ambition est ailleurs : dans l’abolition de ce pouvoir politique au sens strict du terme. Leur ambition est de faire éclater ce pouvoir, de le décentraliser, afin qu’il soit géré à la base, dans les villages, dans les usines, etc.

Il y a − il y avait − la conviction que l’acte violent d’une avant-garde pouvait réveiller le sujet révolutionnaire que sont le peuple ou le prolétariat ou… Cette conviction est-elle toujours fondée ?

Sur ce point et sur d’autres, il semblerait que règne un « déficit de réflexion théorique ». La violence est-elle révolutionnaire en soi, ne peut-elle pas être contre-révolutionnaire ?

Quand on cherche les raisons qui poussent les militants à la radicalisation d’« attitudes initialement modérées ou conciliantes » (p. 143), on trouve la déception « quant aux possibilités légales de transformation du système politique », écrit Isabelle Sommier.

« Possibilités légales » ! Il n’y aurait donc que l’alternative : violence ou légalité. S’affiche ici une impuissance de l’imaginaire, autrement dit l’impossibilité de penser l’illégalité associée à la non-violence.

Isabelle Sommier, revenant sur les événements de 1968, en France et en Italie, et sur les années qui suivirent, se penche sur ce qui amena les militants d’extrême gauche, pour la plupart, à abandonner cette voie de la violence à des fins politiques ; cette violence qui sembla alors disqualifiée après être passée de la violence de masse à la violence d’avant-garde puis au terrorisme.

Après 1968, « quelque chose se serait brisé », écrit Isabelle Sommier : le couple révolution et violence ne fonctionnait plus ; une sorte de désamour graduel s’était installé, accompagné de la quasi-disparition des groupes d’extrême gauche qui auraient dû continuer à porter les idées mais qui, à un moment donné, renoncèrent explicitement à la lutte armée.

Pourquoi ? L’explication profonde n’est pourtant pas donnée. Il y a comme une énigme.

Il semblerait pourtant que trois arguments expliquent ce repli :

 Le refus de la clandestinité qui isole.

 L’absence d’un sujet révolutionnaire (comme le prolétariat).

 Le refus de donner la mort (p. 197).

Un fait original, peut-être, a précipité cet abandon de la violence, c’est une action de la classe ouvrière, en France ; je cite :

« L’expérience unique de Lip, durant l’été 1973, donne en effet à la GP [Gauche prolétarienne] le coup de grâce. Désormais, les états d’âme ne sont plus permis, la confrontation à la réalité ne peut plus être esquivée. Voilà en effet une lutte audacieuse, illégale mais non violente [c’est moi qui souligne], qui s’engage sans « éveilleurs » ni avant-gardes, dans une usine décentrée, à main-d’œuvre majoritairement féminine et autour de deux catholiques (Piaget et Raguenès). Bref, tout ce que les militants gépistes avaient appelé de leurs vœux s’était fait sans eux » (p. 202).

L’extrême gauche fit ainsi le « deuil de la violence », comme se plaît à l’exprimer Isabelle Sommier ; en outre, les militants ne crurent plus possible une rupture violente avec le « système » (p. 33) ; il fallait se ranger sur le côté de l’Histoire d’autant plus que la « classe ouvrière », acteur principal du changement, semblait s’être désagrégée en perdant sa conscience, sa « conscience de classe » comme nous disions. Il y avait une dégénérescence et du sujet révolutionnaire et du projet révolutionnaire.

On avait trop idéalisé l’ouvrier. Par dépit amoureux, on chercha alors des sujets révolutionnaires de substitution : les émigrés, le lumpenprolétariat, etc.
En fin de compte, on en arrivait même à penser que seule la jeunesse pouvait être révolutionnaire.

Dans ce livre, qui donne de très nombreux témoignages et une masse de documents, il est difficile de tirer l’essentiel tant fourmillent les références.

Cependant, parce que tout militant est encore confronté au problème, on notera ce qu’Isabelle Sommier nomme les « dérives » des services d’ordre :

« Les services d’ordre se convertissent peu à peu, soit en instrument de puissance aux mains des groupes pour s’assurer la maîtrise politique d’une manifestation aux dépens des autres participants, soit en une entité distincte qui échappe toujours plus au contrôle politique de la direction, les deux dérives se renforçant l’une et l’autre pour transformer les cortèges en affrontement “tribaux” entre spécialistes » (p. 78).

Une universitaire qui écrit s’adresse d’abord à des universitaires, du moins à des lecteurs qui ne seront pas rebutés par la pratique d’un certain jargon plutôt difficilement accessible à tout un chacun.

Et l’universitaire pense qu’elle ou il ne sera pas pris au sérieux par ses pairs s’il ou elle écrit de façon claire : un peu d’obscurité semble donner de la profondeur à la pensée. Il ne lui viendrait pas à l’esprit qu’un prolétaire puisse ouvrir un de ses livres…

En disant cela, nous admettrons cependant qu’un certain vocabulaire plus précis puisse être nécessaire. Pour autant, une expression claire demande aussi un peu de talent et un peu plus de travail.

André Bernard, chronique du 20 octobre 2011 dans l’émission « Achaïra », du cercle libertaire Jean-Barrué, sur la radio associative bordelaise la Clé des ondes.

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