Cahier de formation 23 de l’Association France-Palestine Solidarité, coordination Bernard Ravenel, juin 2009.
Palestiniens et non-violence
Tout d’abord dire, avec Samah Jabr, que « l’occupation de la Palestine a pour fondement une idéologie du XIXe siècle qui nie l’existence d’un peuple » (il s’agit bien sûr du sionisme qu’il ne faut pas confondre avec l’antisémitisme).
La résistance du peuple palestinien est juste. Pourquoi est-elle qualifiée de « terroriste » ? De même que les nazis nommaient « terroristes » les résistants français.
Or la stratégie de résistance non violente est un aspect de la mobilisation populaire palestinienne – en insistant sur le terme de « populaire », c’est-à-dire sur toute la société civile –, cette résistance étant pour le moins occultée par la plupart des médias. On pourra se poser la question de la raison de ce manque, de cette volonté de rendre si peu visibles ces actions. D’un autre côté, il y a comme un « refus de savoir » de la part du public : ouvrir les yeux pourrait aller contre certaines habitudes de penser.
La plupart diront que la non-violence n’est pas le bon moyen de se libérer d’un colonialisme et que la non-violence n’est pas présente dans la culture palestinienne et arabo-musulmane. Est-ce si sûr ?
Ce ne fut certes pas la voie choisie en Algérie. Daniel Guérin, dans « Quand l’Algérie s’insurgeait, 1954-1962 » (La Pensée sauvage, 1979), citait cependant, brièvement, des moyens de lutte « pas violents », tels que la non-coopération, la résistance passive, les grèves, l’éducation des masses, etc. Mais l’indépendance algérienne se fit dans la violence et donna le pouvoir à ceux qui avaient pris les armes, ou du moins à une minorité d’entre eux.
Si les Palestiniens n’ont peut-être pas, à proprement parler, une pratique de non-violence, ils ont une tradition affirmée de résistance pacifique : dans une plaquette de quelque 80 pages (« la Résistance populaire non violente en Palestine », 2009), Bernard Ravenel rappelle une grève générale en 1936 qui dura six mois.
Cependant, après plusieurs guerres entre pays arabes et Israéliens, c’est l’impossibilité de vaincre l’armée israélienne et son État soutenus plus ou moins hypocritement par l’Occident − avec la Shoah en arrière-plan − qui va amener quelques Palestiniens − la stratégie de lutte armée à partir des frontières paraissant une impasse − à rechercher une autre voie : « la stratégie du désarmé ».
En 1983, Mubarak Awad fait paraître une brochure : « La non-violence, une stratégie pour les territoires occupés », puis fonde à Jérusalem, en 1984, un Centre palestinien pour l’étude de la non-violence. En 1988, il fait un bilan de la première intifada (non armée). Mubarak Awad est alors expulsé par les autorités israéliennes vers les États-Unis.
Même si, pour Saleh Abd al-Jawal, la résistance armée est une option légitime, il critique cependant, dès 2001, la deuxième intifada (plus ou moins armée) et un affrontement total qui ne peut aboutir qu’à l’écrasement des Palestiniens. Par ailleurs, il note que les femmes sont presque totalement absentes de ces combats et que l’utilisation des armes « renforce les tendances non démocratiques dans la société ».
La relance d’une mobilisation populaire et non violente s’est faite en 2005 par l’intermédiaire des habitants du village de Bil’in − privés de la moitié de leurs terres par la construction du Mur −, et ce redémarrage s’appuie sur le bilan des deux intifadas, celle de 1987-1991 et celle de 2000-2005. Pourtant, déjà, le village de Boudrus et quelques autres avaient ouvert la voie avec certes moins de publicité mais en coordination avec environ une quarantaine d’autres villages.
Ici donc se situe une interrogation sur la validité des stratégies de résistance face à l’extrême violence israélienne et aussi par rapport à la violence entre Palestiniens.
Si, aux yeux de l’opinion, la résistance populaire non violente palestinienne se réduit à une résistance passive de gens désarmés, c’est pourtant de plus que cela dont il s’agit.
Il s’agit, face à la communauté internationale, de rendre visible la violence de l’oppresseur devant le comportement pacifique de l’opprimé, sans pour autant nier le conflit. À cet effet, l’utilisation des médias, en particulier de la télévision, est prioritaire.
Cette non-violence − qui n’est donc pas l’absence d’une confrontation − doit faire l’objet de la visualisation maximale de sa transgression par une désobéissance civile de masse. Il faut gagner « politiquement » et « moralement » la bataille et amener le monde à se solidariser avec les opprimés.
Ce résultat fut atteint quand des militants internationaux et des anarchistes israéliens nommés « contre le mur » s’engagèrent aux côtés des Palestiniens, quand une action internationale de « boycott, désinvestissement et sanctions » (BDS) fut lancée contre Israël. Mais là ne s’arrête pas le mouvement.
Le gouvernement israélien est plus sensible qu’on ne veut bien le croire à cette nouvelle stratégie ; sa répression se révèle bien plus importante que contre les actions violentes : en effet, tous les cadres non violents sont en prison ; il est maintenant plus facile de faire dégénérer les manifestations. S’y ajoute l’introduction de provocateurs policiers israéliens le visage couvert du keffieh.
Combattre des gens armés (ou qui lancent seulement des pierres) paraît plus légitime, surtout aux yeux de l’opinion internationale, que s’attaquer à une population qui s’avance sans armes.
Cette lutte − tout comme d’ailleurs n’importe quelle lutte armée − implique une grande détermination − un héroïsme − de la part des masses qui manifestent, et les Palestiniens doivent en cela dépasser leurs réactions immédiates, instinctives et émotionnelles pour se libérer, libération qui ne se fera sans doute qu’avec l’aide de la solidarité internationale.
Il s’agit de faire bouger l’opinion israélienne.
André Bernard, chronique du 4 novembre 2010 dans l’émission « Achaïra », du cercle libertaire Jean-Barrué, sur la radio associative bordelaise la Clé des ondes.