Réfractaires non-violents à la guerre d’Algérie
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La détention : le camp de Mauzac
Article mis en ligne le 12 décembre 2011
dernière modification le 22 décembre 2013

par A.B.

Le camp de Mauzac, octobre 1962

Extraits de notre livre et des informations complémentaires.

Dans une rubrique précédente (voir), nous avons fait l’historique de cet endroit, mais nous vous donnons ci-après quelques informations supplémentaires sur la façon dont s’est déroulé ce « séjour » qui va se prolonger plus d’une année.

Tous ceux qui n’ont pas encore fait leurs trois années obligatoires (armée et/ou détention) se retrouvent regroupés au campde Mauzac à partir de mi-octobre 1962.

L’entrée de Mauzac

La prolongation dans l’attente du statut va provoquer des réactions fortes et diverses de la part des détenus. Robert Siméon écrit, le 25 octobre 1962 :

« Nous voici à Mauzac, petit village entre Bergerac et Villeneuve-sur-Lot où je suis arrivé vendredi dernier avec Eric Pot, venant de Toulouse. Nous avons été surpris de voir que ce n’est qu’un camp pénitentiaire avec miradors, barbelés, surveillants et claustration dans des limites plus grandes que d’habitude.

Robert Siméon doit se rendre à la caserne de Bordeaux

« Nous nous attendions à trouver un camp délabré que nous serions chargés de mettre à neuf dans le cadre d’un service civil, mais il n’en est pas question. Nous sommes et restons des prisonniers. Nous apprenons, encore une fois, qu’il ne faut pas se fier aux informations généreuses pourtant largement répandues par la radio, les journaux, etc. Un pas est quand même franchi puisque le gouvernement veut bien nous distinguer des autres prisonniers. Le fait d’être réunis, tous ensemble, d’occuper complètement un camp comme celui-ci donne un certain poids à notre catégorie. Mais j’ai l’impression qu’il faudra attendre encore longtemps avant que le statut passe, peut-être six mois, ou plus... » (Extrait de la Lettre, n° 20 de l’ACNV)

Oui, Robert avait raison. En effet, comme nous l’avons déjà raconté dans le chapitre VII, le statut ne verra le jour qu’en décembre 1963. S’installe alors à Mauzac un va-et-vient : les « anciens » n’ayant pas fait les trois ans nécessaires sont « libérés » pour entrer dans le cycle caserne-prison-procès-Mauzac.

Afin de rompre cette monotonie, parfois, un réfractaire sortant de Mauzac, pour rejoindre sa caserne à Bordeaux, s’accorde quelques jours de vacances... Et des « nouveaux » arrivent. Parmi eux, Philippe Delord qui découvrira les « anciens » qui commencent à trouver le temps long. Certes, les conditions de détention sont bien meilleures qu’en caserne ou en maison d’arrêt, mais le travail utile promis par le ministre de la Justice se fait attendre.

Claude Voron raconte aujourd’hui :

Marcel Hladik

« Pour moi, le temps passé au camp de Mauzac fut le plus dur de ma détention. Certes, nous étions ensemble, et l’ambiance était bonne entre nous ; dans la journée, nous pouvions circuler librement à l’intérieur du camp, faire un peu de sport. Mais je supportais difficilement ces barbelés et ces miradors de sinistre mémoire. D’être toujours les uns avec les autres, sans pouvoir s’isoler, m’était pénible également ; curieusement, j’ai mieux supporté la vie en cellule, seul. »
[...]

Il se souvient :

« Qu’ils sont « typés » ces non-violents !
« Le grand Jacques Millet, rationaliste athée, entreprend, raide comme un I, sa grande barbe à la Jaurès soigneusement taillée, la lecture systématique de la Bible pour en déceler les erreurs et les horreurs... question horreurs il va être servi ! Je l’admire d’ingurgiter, sans broncher, l’indigeste plat du livre des Nombres avec ses fastidieuses listes de noms et de prescriptions.

« Il résiste aussi, flegmatiquement, aux espiègleries d’Yvon Bel, le « taquin » affectueux de notre groupe et notre animateur sportif (il organise les tournois de volley).

« Marcel Hladik, « Babouin » pour les intimes (à Ceylan, il grimpait dans les arbres pour étudier la nourriture des babouins... et, par mimétisme, a une allure babouine !) apprend le russe et nous chante : « U popa a builah saba a que ô yu bil... » (c’est ce qui m’en reste, quarante-cinq ans après). Grosse tête et bûcheur acharné, il deviendra un honorable professeur au Collège de France. Agnostique, il pratique cependant la méditation. C’est notre « tête, bien faite et bien pleine » qui révélera ses talents d’organisateur, non seulement pour des actions, mais aussi pour la conduite du chantier quand nous y serons.

Yvon Bel

« Christian Fiquet, parigot à l’intelligence aussi vive que son débit de paroles, par ses paradoxes, aime bien attiser les discussions. Son œil et son sourire s’allument quand il y arrive !
« Jean Lagrave, au cœur gros comme une maison, s’y laisse parfois prendre mais copine volontiers avec lui.

« Les non-violents ne sont pas tous des doux ! « Astérix », Claude Verrel, petit gaulois à la chevelure et à la barbe fournies est pourvu d’un organe vocal qu’il utilise puissamment dans des colères homériques.

« Didier Poiraud, « Hadock » comme le capitaine du même nom, roule des yeux terrifiants quand quelque chose ne lui convient pas.

« Et le petit « Cosinus » dans cette équipe ? C’est le calme de la bande. Il concilie, temporise. Quand il y a un problème, il dit toujours : « Il faut voir... », au risque, pour fuir le conflit, de noyer le poisson. Mais cela fait un bon équilibre avec les « volcaniques ».

Début 1963

Carte de voeux de la part de Marcelle Bernadat

Les réfractaires s’impatientent

Ils décident de commencer un jeûne. Claude Voron, Jean Pezet, Marcel Hladik, Robert Siméon, Didier Poiraud, Yvon Bel et Claude Verrel écrivent le 26 mars 1963 au président de la République, ainsi qu’au Premier ministre (voir rubrique 26 mars 1963).

Cette action collective porte ses fruits. Le jeûne est interrompu suite aux promesses du préfet venu lui-même pour demander aux jeûneurs de le cesser. Le chantier s’ouvre le 8 avril sous la casquette étoilée de l’Administration pénitentiaire. Toujours rattachés au camp principal de Mauzac pour l’intendance, les réfractaires logent dans les locaux inoccupés d’une colonie de vacances, prisonniers sur parole, aucun contact avec la population.

Jean Pezet (accroupi à gauche) avec des témoins de Jéhova

Cotravaux et le Service civil international sont maîtres d’œuvre. Avec les pierres récupérées dans les ruines des maisons du village de Pressignac, détruit le 21 juin 1944 par l’armée allemande, ils construisent un foyer rural.

Malgré l’emploi de l’explosif pour ôter certains rochers récalcitrants des fondations, c’est une œuvre pacifique et hautement symbolique par la provenance des pierres utilisées. Le béton de sous-œuvre et le mortier y sont gâchés à la main, vu l’abondance de bras : c’est moins cher et aussi rapide que de louer une grosse bétonnière. Et puis il y a l’enthousiasme et la vigueur qui ont été contenus pendant ces longs mois dans l’ombre et l’inaction forcée.

Le gardien-chef du camp annexe, un brave homme au bord de la retraite, se souvient du métier de sa jeunesse. Il prend personnellement l’initiative d’enseigner à quelques-uns la taille du calcaire dur de Dordogne. Les autres maçonnent sous la direction des volontaires bénévoles du Service civil international. Ce grand bâtiment sera terminé. Par contre, vingt ans plus tard, on pouvait encore voir, au fond du terrain, les bordures de pierres façonnées pour le stade non construit.

Le bâtiment terminé à Pressignac

Certains témoins de Jéhovah, nettement plus nombreux que les réfractaires « non violents », y participent également. Concernant ce chantier, nous avons trouvé l’information suivante dans le journal n° 18 de l’ACNV (octobre 1963).

C’est Marcel Hladik qui écrit :

« Le travail avance d’un bon rythme. Pas spécialement rapide car dans le bâtiment on ne fait rien de bon en se précipitant un peu trop. Bientôt, nous coulerons la dalle séparant les salles du rez-de-chaussée de l’étage supérieur. Les murs déjà dressés donnent une petite idée de ce que va être le bâtiment dans son ensemble. La concurrence est sérieuse entre les équipes de maçons. Et il faut dire que les panneaux de pierres assemblées "avec goût" (selon les directives de Monsieur l’architecte) ont très belle allure. Eric vient après tout le monde pour redresser les murs et faire la finition. Jean fait du boisage avec moi. Bonne ambiance dans l’ensemble. Les "témoins" réagissent de mieux en mieux et voient d’un très bon œil le boulot prendre belle allure. »

Claude Voron raconte aujourd’hui :

« Je ne suis pas le dernier à me donner à fond pour la bonne avancée de cet ouvrage, « challenge » pour montrer notre volonté de service. Travailler la pierre, très vite me passionne. Comme les bâtisseurs de cathédrales du Moyen Age, chacun met une touche personnelle dans cet ouvrage collectif : par moi, un poisson de pierre nage toujours dans l’océan du mur du foyer !

« Le travail manuel m’équilibre et l’exaltation que procure le bel ouvrage créateur que j’avais ressentie aux « Eaux salées », me reprend !

« Nous nous organisons en « autogestion » en utilisant les compétences de chacun et en prenant ensemble les décisions. Emile, le technicien du SCI est notre conseiller technique, mais pas plus. Marcel joue le rôle de chef de chantier et il fait cela très bien.

« Surprise ! nous découvrons que le surveillant chef qui est avec nous, avant d’être « maton » était tailleur de pierres ! Il nous montre comment tailler des angles : d’autres rapports s’établissent avec lui.

« La surveillance à Peyrebrune et Monsac où nous sommes cantonnés n’est pas pesante, ni trop tatillonne. Je crois bien que les sorties nocturnes d’Yvon qui fait le mur pour retrouver sa Josette, ne sont pas totalement ignorées car, lorsque Jo Pyronnet est entré clandestinement pour une réunion « secrète », ils ont bien su le trouver, alors que nous l’avions caché dans le confessionnal de la sacristie.

« De la communauté de vie « obligée », nous en avons fait une communauté librement acceptée et organisée : réunions régulières, rencontres de partage, ciné-club et autres activités, temps de prière en commun pour ceux qui le désire ...

« Je suis heureux, le matin, avant de partir pour le chantier, de reprendre des exercices de yoga, que je ne pouvais pas faire à Mauzac, et un temps de méditation au pied d’un grand cèdre.

« Avec Yvon, les liens se renforcent et nous décidons de nous retrouver régulièrement pour partager nos états d’âme et pour pratiquer un accompagnement fraternel. Il me dit : " La plupart d’entre nous sommes mariés, fiancés ou en lien avec une petite amie. Tu es seul. C’est triste. Je connais une fille qui est seule, elle aussi, et qui s’intéresse à l’Arche, comme toi. Tu devrais correspondre avec elle ; je pense que vous avez des choses à partager. Je lui en ai parlé. Elle est d’accord. À toi de jouer maintenant. "

« Cette proposition me trouble, car je n’ai pas oublié cette Marie-Claire Guiader dont il me parle. Je n’ai pas oublié la petite bretonne pétillante de vie rencontrée à la Chesnaie et revue à l’Étape. »

D’autres chantiers seront ouverts dans la région pendant ces mois et donneront ainsi l’occasion à de nombreux « nouveaux » de faire connaissance avec l’ACNV et de se former pour la suite du combat.

Le 14 août 1963, une équipe d’objecteurs d’un chantier à Monsac écrivent une nouvelle lettre au président de la République :

Lettre au Président de la République

La détention à Mauzac se termine en décembre 1963, après le vote du statut, voir le Journal officiel ci-dessous.

Journal Officiel du 22 décembre 1963

Voir, en annexe, le rendez-vous de l’an 2000 pris par quelques-uns des réfractaires à Mauzac.

Voir la suite en 1963.