L’arrestation d’Alain Larchier racontée par un membre du groupe ACNV de Grenoble.
La semaine de préparation fut comme toujours une veillée d’armes sans fébrilité, mais combien accaparente. Rien ne fut laissé au hasard, et le samedi 6 janvier 1962, à 17 heures, nos cinq amis eurent tôt fait de tendre une banderole au-dessus de leurs têtes et de s’enchaîner à un arbre. La mise en place avait demandé quelques secondes. On lisait sur la banderole : « Volontaire pour un service civil en Algérie, réfractaire au service armé, Alain Larchier se met à la disposition des autorités. Quatre personnes demandent à partager son sort. »
En même temps, et à proximité, nous nous rassemblons une trentaine pour observer un quart d’heure de silence, en déployant également des banderoles. Et tandis que les passants s’attroupaient, certains d’entre nous diststribuaient environ 5000 tracts. Aucun policier en vue, la foule était plutôt sympathique. La tenue très digne de nos cinq amis inspirait le respect et nul dans le public n’avait envie de sourire. Trois quarts d’heure s’écoulaient avant que les policiers n’interviennent et avec leur brusquerie habituelle arrachent les banderoles et libèrent les garçons qui furent aussitôt conduits au commissariat où, démunis de leurs papiers, ils se déclarent tous Alain Larchier. Celui-ci fut rapidement identifié et remis aux autorités militaires de Lyon.
Quant à ses camarades, ils furent présentés le lundi 8 janvier au juge d’instruction qui les inculpa d’outrage à magistrat et les fit déférer à la maison d’arrêt de Grenoble sous les dénominations de X1, X2, X3 et X5. Ce jour, le 7 février, n’étant pas tous identifiés, ils y sont encore. De plus, ils estiment que le chef d’inculpation retenu contre eux ne correspond pas à la réalité profonde de leur action. Ils désirent que leur geste prenne toute sa signification et que leur solidarité avec Alain Larchier soit pleinement reconnue. Ils demandent d’être inculpés d’assistance à insoumis.
Quant à nous, pendant plus d’une semaine, nous avons eu les honneurs de la police qui s’est présentée à notre appartement le samedi à minuit, en possesssion des photos des cinq garçons, pour nous demander leurs noms. Une autre fois, au cours d’un entretien, l’officier de police que nous connaissons nous dit : « Entre nous, dites-moi les noms, je ne le dirai pas à la police ! »
Enfin, un autre jour, je fus convoqué à la Sûreté où je fus reçu immédiatement par M. le Principal, avec lequel je dus m’entretenir deux heures durant pour m’entendre dire à plusieurs reprises : « Je m’excuse de vous faire violence ! » À l’issue de cet entretien, cinq hommes avait fait une profonde impression sur les chefs de la police et sur le juge chargé de leur cas. D’autre part, on imagine difficilement tout le remue-ménage que peut susciter une telle affaire dans toutes les préfectures du territoire.
Trois semaines se sont écoulées depuis l’arrestation de nos amis. C’est l’anniversaire de l’assassinat de Gandhi. Cette année, nous commémorerons cet anniversaire en organisant une journée de jeûne public dans le cadre de cette action. De nouveau, 5000 tracts seront distribués, une permanence sera assurée de 9 heures à 21 heures dans un local de la Fédération protestante. A 12 h 30, une présence silencieuse d’un quart d’heure est prévue devant la prison. Cette fois, les forces de l’ordre sont en nombre et tentent de nous disperser, ce qui nous oblige à user de la tactique habituelle : nous nous asseyons par terre, et nous nous retrouvons tous peu de temps après au service anthropométrique de la Sûreté, ce qui nous permet une fois de plus de constater que nos contacts avec la police sont rarement inutiles : « Mais assayez-vous donc, je vous en prie. » « Ce n’est pas douze, c’est deux mille qu’il faudrait que vous soyez », ce qui vaut à l’un de nous de répondre : « Ca viendra ! » À 14 heures, nous sommes tous relâchés. (…)
Extrait du journal n° 13 de l’ACNV, sans date.
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