Réfractaires non-violents à la guerre d’Algérie
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Rencontres internationales à Wardha (Inde) en 2008.
Article mis en ligne le 27 octobre 2011
dernière modification le 13 mai 2018

par A.B.

Rencontres internationales de la paix et de la non-violence à Wardha (Inde)

Tomber du ciel à Bombay, parcourir cette immense mégapole (15 millions d’habitants !) dans un bus antique, brinquebalant, crachotant et hurlant du klaxon pour se faufiler dans une cohue de rikshaws, vélos, motos, autos, charettes, piétons, animaux..., c’est pénétrer déjà dans l’Inde profonde !

Les bidonvilles s’étalent à perte de vue (600.000 personnes s’y entassent dans des conditions d’hygiène innommables !) et la misère déborde sur les bords des rues et enserre les buildings modernes. La révolte mêlée à une forme de découragement montent en moi : quelle valeur a cette civilisation qui génère une telle violence structurelle et une cohabitation sociale aussi criante de disparité ? Que pouvons-nous faire face à l’ampleur du problème ?

Que les femmes sont belles et dignes dans leurs saris multicolores ! Et tous, petits et grands, souriants, accueillants. Nous le constatons, dès le repas de midi, dans un petit restaurant populaire et dans l’errance dans les rues à la recherche du bus : les hommes nous serrent les mains ; « what’s your name ? », disent les enfant qui connaissent trois mots d’anglais ; et tous sourient et accueillent gentiment ces blancs, ces noirs si étranges qui se mêlent à eux. A Wardha, au coeur de l’Inde, dans cette petite ville non touristique, nous aurons le même accueil chaleureux. Avec Dominique, nous nous promènerons en toute confiance dans les marchés colorés, les petites rues grouillantes de vie, récoltant sourires, poignées de main, quelques paroles aimables et de joyeux éclats de rire.... Ces gens simples et pauvres sont nos maîtres dans leur art de vivre pauvrement et souriant, à nous occidentaux repus et sombres.

Bombay-Wardha, 750 km, douze heures de train (quatorze pour le retour avec les deux heures de retard). Voyager en train est aussi plonger dans l’Inde populaire. C’est haut en couleurs, en odeurs, en cris et propositions et demandes : « Tchaï ! Tchaï ! Blebleble !... »(c’est ce que j’entends) et, pour quelques roupies, tu peux te faire servir un repas préparé sur place avec riz et légumes ou acheter bibelots, cartes, chaînes (pour enchaîner ta valise ?) et autres objets incongrus.

J’admire la grâce, la souplesse de la dame qui monte dans sa couchette. Une joyeuse bande qui fête un anniversaire vient nous offrir des douceurs. Un musulman s’allonge par terre, entre les couchettes, avant, au petit matin, de faire ses prières ? On monte, ça descend, ça s’empile, dans la pagaille et la bonne humeur, dans un grouillement de vie fatiguant mais sans trop de tension. Un d’entre nous, voyant sa couchette occupée par un intrus lui demande de céder la place. Sans protester d’aucune manière, la personne va s’assoir dans le couloir. Vérification faite, c’était bien sa couchette ... Gentillesse d’un peuple ? Ou passivité dangereuse face à l’injustice ? Rajagopal, le leader d’Ekta Parishad, le Mouvement d’accès à la terre en Inde, nous a dit que le premier travail du Mouvement a été de réveiller l’agressivité des « Sans terre » qui disaient : « C’est notre karma, nous sommes punis pour ce que nous avons fait dans une vie antérieure. » Ce fatalisme religieux des castes pèse encore lourdement sur toute la société indienne.

Dessin de Marie-Claire Voron lors du 50e anniversaire de l’assasinat de Gandhi

Visite émouvante au Musée Gandhi à Bombay. Lettre de Gandhi à Hitler (je crois avant 1939) : « [...] Vous seul pouvez arrêter cette guerre... » L’en-tête, « Très cher ami... », me pose question. Pour essayer de toucher la conscience du tyran, du violent, faut-il aller jusqu’à ce « Très cher » ?

Gandhi a mis en œuvre deux manières de mener le combat non-violent : soit toucher la conscience de l’adversaire, le violent, l’injuste en prenant sur soi l’épreuve (les coups, la prison, le jeûne), soit en le contraignant économiquement, politiquement (boycot, non-coopération, désobéissance civile de masse). En somme, une non-violence « spirituelle » et une non-violence « politique ».

J’ai retrouvé aux Indes ces querelles d’école qui nous ont agités en France et qui sont, heureusement, bien apaisées maintenant. En caricaturant : le MAN (Mouvement pour une Alternative Non-violente) préconisait une non-violence « politique » face à l’Arche garante de la non-violence « spirituelle ».

Aux Indes, entre un Rajagopal, leader d’un vaste mouvement des « Sans terre » visant à contraindre gouvernement et gros propriétaires à modifier lois et pratiques, et certains gardiens pointilleux de la pureté gandhienne qui mettent au cœur de la non-violence la puissance salvifique de la souffrance librement assumée, le torchon brûle parfois. Nous le constaterons lors du colloque.

Nous sommes une soixantaine « d’étrangers » venus des quatre coins du monde et accueillis à l’Institut d’études gandhiennes à Wardha. L’Afrique avec Néné du Mali, Camille, prêtre au Sénégal, Claude du Cameroun, Jarlath du Bengladesh, Light du Soudan, est bien représentée, malgré l’absence des Burkinabés, qui, faute de visas, ne sont malheureusement pas là. Sont venus des Amériques : Michelle et Corrie, Julius et Catherine des USA ; Pietro, Ana, Paloma, Fernando, Arturo du Mexique, Ana d’Uruguay. D’autres pays sont également présents : Mikio et Ikenoya du Japon ; Soad, arabe chrétienne, d’Israël ; Paula, Anna-Louisa, Alberto, d’Italie ; Maria d’Espagne ; Frantz d’Autriche. La délégation française est la plus importante avec des membres du MIR( Mouvement International de la Réconciliation), du MAN, de Pax Christi, de l’Arche et même des Réfractaires à la guerre d’Algérie. Les jeunes (vingt-quarante ans) forment un bon groupe et mettent l’ambiance, ils copinent bien avec les étudiants de l’Institut.

L’hébergement à l’Institut d’études gandhiennes est un peu spartiate : les lits sont plus que fermes. Les douches et les wc sont frères de ceux de la Borie Noble avec moustiques en plus. Mais nos hôtes sont attentifs aux besoins de chacun : ils achètent spécialement des matelas pour assouplir les couchages. La douzaine d’étudiants – garçons et filles – vivent pendant huit mois en communauté avec une règle de vie calquée sur les onze vœux des Ashrams de Gandhi. Une prière, composée de textes fondamentaux de différentes religions, commence la journée à six heures et la clôt à dix-neuf heures.

Vinoba et Lanza del Vasto

Avant le colloque proprement dit, tout ce groupe vit quatre jours de visites de réalisations gandhiennes. Outre l’intérêt de ces rencontres, ce temps passé ensemble permet à la « mayonnaise » du groupe de prendre. Les échanges sont riches. Des liens se tissent.

Quelques-unes de ces réalisations qui m’ont marqué :

  Paramdham Ashram, ashram de femmes fondé par Vinoba (voir photos ci-contre) à Paunar, est sobre, propre, quasi monastique. Ces dames filent au rouet en silence, cultivent le jardin et prient. Le seul homme du lieu, un compagnon de Vinôba, nous présente ce personnage étonnant, surdoué : il parlait vingt-six langues, avait étudié les écrits sacrés des différentes religions, tout en s’intéressant aux mathématiques et à l’astrophysique ! Il a marché des dizaines de milliers de km pour inviter les riches à donner des terres aux plus pauvres.

  Le Centre des Sciences pour les Villages, près de Wardha est un centre de recherche et d’expérimentation d’habitat écologique et réalisé avec des moyens simples et locaux : toiture en voûte en poterie cuite et crue ; sources d’énergie par le biogaz (fermentation anaérobie des excréments humains et des bouses de vache

Midi-Libre du 13 nov.1954
Lanza del Vasto & Daniel Wintrebert

avec récolte des résidus comme engrais). Des milliers de ce type d’habitat sont réalisés en Inde. D’autres centres travaillent sur le solaire, l’éolien. Ces recherches gandhiennes s’appuient sur les avancées techniques et scientifiques modernes tout en gardant les perspectives de simplicité et d’autonomie chères à Gandhi.

  Pèlerinage aux sources émouvant à Sévagram, le dernier ashram de Gandhi. Beauté des lieux, des maisons, des arbres. Tout est maintenu en l’état originel. Musée figé ? Non, c’est ce qui en fait la valeur : Gandhi, Kasturby, son épouse, sont toujours présents et Shantidas également : c’est là qu’il a rencontré Gandhi la première fois.(Shantidas, « Serviteur de paix », est le nom qu’a donné Gandhi à Lanza del Vasto).

  Le Musée des artisanats et des métiers de la terre de Wardha, fondé du vivant de Gandhi, s’appuie sur le passé pour modifier le présent et préparer l’avenir. Les jardins sont beaux, bien cultivés. Les ateliers de cardage du coton, de filage, de tissage, bruissent d’activité sur des machines simples.

Nous rencontrons Vibha, la Directrice du Musée, fille du fondateur, ami de Gandhi. Nous avons droit à une analyse économique magistrale et à une remise en cause du « Marché » :

« Nous avons besoin de peu pour être heureux. Plus on est avide et désireux de biens, de nourriture hors saison, moins on est libre, en paix et heureux ; Il faut augmenter le nombre de ceux qui contestent la civilisation du Marché et qui respectent la nature, les animaux. »
Deux mille fermes, reliées au Centre, sont en agriculture « naturelle » - autonomie et respect du sol et des processus vitaux. Ils refusent les subventions de l’État car la corruption règne et ils veulent rester libres.

  Darsana est un séminaire catholique dans l’esprit gandhien : inculturation ( les symboles religieux s’inspirent du boudhisme et de l’hindouisme). Professeurs et étudiants travaillent une heure par jour dans les jardins ou dans les élevages. Un jour par semaine, les séminaristes vont dans les villages des environs et se mettent au service des plus pauvres.

Rencontre à Darsana de Rajagopal. Forte impression. Les « Sans terre » ont en lui un leader non-violent de qualité : intelligent, les pieds bien sur terre, habile tacticien, tenace mais sans raideur ; son visage respire la bonté et la force paisible. Pour tout dire, il m’a fait penser à Jo Pyronnet.

Son combat fait suite à l’action de Vinôba, mais l’accent est différent. Ce n’est pas le don de la terre (Boudhane) qui est demandé, c’est le droit à la terre qui est revendiqué ! En fait, les pauvres sont confrontés à trois problèmes : l’eau, la forêt et la terre monopolisées par les multinationales. À la globalisation de l’économie, il faut opposer une globalisation de la résistance en créant, en particulier, des réseaux de soutien internationaux.

« Il faut prendre position - nous dit Rajagopal - la non-violence est entre la violence et le silence. » Il nous donne un véritable cours de stratégie non-violente : « Il faut bien définir la cible. Éviter de se heurter aux adversaires intermédiaires : police (les policiers sont nos frêres), armée. Pas de violence verbale. Se rendre sympathique à l’opinion publique. Quand un élément de la lutte est réprimé, importance du soutien immédiat des autres, essentiellement en faisant intervenir des gens bien formés et, afin de garder le moral, partager les succès d’autres éléments. Ne pas se décourager et bien connaître les cinq étapes des réactions face à la contestation non-violente : l’ironie et le mépris ; l’ignorance ; l’achat ; la répression et le contact avec l’adversaire. »
Rajagopal sait de quoi il parle. Aprés dix années d’actions préparatoires, une gigantesque marche de vingt-cinq mille « Sans terre »
a abouti à des décisions gouvernementales positives. Rajagopal nous a donné rendez-vous en 2012 pour une marche internationale avec, cette fois, cent mille participants.

Film de Louis Campana

  Anandwan, la Forêt joyeuse ! . Un autre monde est possible, nous l’avons rencontré là. Ou comment les parias des parias, les lépreux, nous montrent que lorsque l’on met ensemble ses forces de travail, non pour le profit mais pour le service, on peut créer des villages communautaires, des écoles pour les enfants aveugles ou sourds, vivre dans la dignité, la simplicité, l’harmonie ; permettre à chacun de développer ses talents (artisanat, musique, chant, théâtre, etc.)

Nous avons visité ces différentes réalisations et participé à une fête (musiciens et chanteurs mal-voyants ou aveugles). Certains parmi nous ont poursuivi leur séjour en Inde en faisant un stage dans ce bel endroit.

Pour les trois jours du « Congrès International sur la Paix et la Non-violence », une soixantaine d’Indiens nous rejoignent chaque jour à l’Institut d’études gandhiennes où se tiennent les rencontres.

Le nombre d’intervenants et de thèmes traités est trop important pour que l’on puisse rester en séance plénière. Trois carrefours travaillent simultanément :

 1. Community control over livelyhood resources, sustainable living, non-violent action/resistance and related themes.

 2. Violence, non-violence, peace, harmony, human rights, peace education and conflict resolution.

 3. Gandhian insights for the modern world and related themes.

Les interventions nombreuses (une quarantaine) et de qualité sont parfois suivies de débats polémiques. Nous avons les textes en anglais, parfois en français.

Pas de conclusions officielles mais quelques pistes d’avenir :

 Poursuivre, développer ce réseau international de non-violence gandhienne, d’échange et de soutien.

 Continuer à travailler certains thèmes abordés : par exemple, plusieurs intervenants ont partagé des réalisations d’éducation à la paix ; ils vont rester en liens.

 Des suggestions ont été lancées : un vœu (un engagement) commun de « sobriété » ? Un symbole commun (un bâton de marche ?)

Claude et Dominique Voron

 Création « d’Instituts d’études gandhiennes » analogues à celui de Wardha et reliés à lui, dans les différents continents (un pour l’Europe ? En France ?).

 Louis Campana, initiateur et cheville ouvrière de ces rencontres, suggère un autre rendez-vous en 2013 en Afrique, au Mali ou au Burkina Faso.

Qu’allons-nous faire de tout cela ? Que vais-je redonner de ce que j’ai reçu ?

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