Réfractaires non-violents à la guerre d’Algérie
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2011 La sixième conférence.
Article mis en ligne le 31 juillet 2011
dernière modification le 17 décembre 2013

par A.B.

Témoignage sur la Palestine

Des paysans sans terre, des pêcheurs sans eaux

Par Nicole Lefeuvre

Je me suis rendue en Palestine avec la délégation organisée par l’Association France-Palestine-Solidarité. Le but du voyage était de participer à Bil’in, en Cisjordanie, à la 6e conférence annuelle pour la résistance populaire contre le mur et l’occupation, du 20 au 23 avril 2011.

Après sept ans, date de mon dernier voyage, j’avais en tête de rendre compte :

 De l’état actuel de la colonisation, de l’occupation, de la répression du fait de la stratégie agressive du gouvernement israélien ;

 De l’état moral de cette résistance populaire palestinienne privée de ses droits fondamentaux à Gaza, en Cisjordanie et dans la vallée du Jourdain ;

 De l’effectivité du soutien d’associations israéliennes et internationales à la lutte populaire non-violente ;

 De l’emploi de la violence et de la non-violence dans cette lutte quotidienne de territoire entre opprimés et occupants.

● ◊ ●

Avant d’entrer dans le village de Bil’in, le responsable de la délégation française de l’AFPS nous avait ménagé une préparation politique d’un jour et demi sur le terrain.

− D’une part, avec les bédouins gardiens de la terre de la Vallée du Jourdain et, le soir, une rencontre avec le vice-consul français de Jérusalem ;

− D’autre part, à Ramallah, le jour suivant, rencontre avec des hauts fonctionnaires de l’Autorité palestinienne et avec des Associations de la société civile Fatah et Hamas.

Pendant la conférence, nous avons pu rencontrer les Israéliens présents.

Après celle-ci, j’ai choisi d’aller avec des habitants des comités populaires à Bethléem et, par la suite, je fis un tour politique de Jérusalem. Enfin, j’allai en Jordanie bien que j’y eus aperçu des villes entières de camps de réfugiés palestiniens : ce fut un sas nécessaire pour réapprendre à circuler librement.

Comment développer tous ces sujets qui eux-mêmes en soulèvent d’autres ?

Commençons par Bil’in (village enserré par la barrière, 8 colonies, en face, 50.000 personnes)

A gauche : au premier plan le village avec clôture et un pylône muni d’une caméra de surveillance orientable ; une bande de terre rasée et les champs d’oliviers. En arrière plan, huit colonies sur des terres occupées par force.

A droite : nouvelle construction d’une colonie en cours depuis un an devant Bil’in. L’ambition du gouvernement israélien est de loger ici, à terme, 150 000 personnes avec vue exotique sur la mosquée, le cimetière...

***

Obstacles à franchir pour aller semer. Par terre, des déchets de bombes lacrymogènes de la dernière manifestation.
Ultime clôture : le paysan montre son "droit" de passage : "Ouvres, s’il-te-plaît, bévakasha." Droit de travailler dans son champs limité à deux heures.

C’est un village rural situé à l’ouest de Ramallah. Ses 1400 habitants sont tous apparentés selon quatre grandes familles. Ce village mène une lutte non-violente depuis six ans contre l’avancée du Mur (8 m de haut) et contre son tracé qui annexait 60% des terres cultivables en toute illégalité. A la suite d’un procès, fin 2008, la Cour Suprême a ordonné de déplacer la clôture de sécurité électrique et de rendre 50% des terres. Seulement 10% furent restituées, mais la clôture fut laissée, si bien que la bande de terre se trouve entre deux clôtures inatteignables sans permission de l’armée israélienne pour aller les travailler. La propriété de terres non travaillées pendant trois ans est perdue.

Pendant la Conférence, quatre autres personnes sont logées avec moi. La famille comprend 14 personnes dans la même maison : Bassel (26 ans) et sa jeune femme (19 ans) nous préparent matin et soir le « kubiz », un délicieux pain plat qui sert pour attraper les autres ingrédients. Les cinq garçons de la maison ont tous goûté à la prison en 2009 du plus jeune 12 ans à son aîné 31 ans. Sur le pas de la porte, le soir, nous jouissons de la fraîcheur du printemps alors que Bil’in est dans le noir et que les colonies sont blanches de lumières comme en plein jour.

Le père, qui fut instituteur dans divers villages, a étudié les philosophes français et aime mêler de citations son récit de leur histoire d’autrefois et d’aujourd’hui.

Un peu de répit pendant que veillent les guetteurs du village : l’armée israélienne se permet des incursions et des arrestations à toute heure. Leurs terres sont perdues ; il leur reste la basse-cour en races très variées et les chèvres aussi. Le père et la mère en parlent avec amour et les soignent de même.

Par la serrure de chez Bassel, on voit briller les colonies blanches comme des linceuls. "Je suis un paysan sans terre."
La maman de Bassem et Jawaher se recueille avant de partir à la manifestation.

Tous les vendredis après l’heure de l’appel à la prière et le passage au cimetière pour honorer les martyrs, et par tous les temps depuis six ans, ils sont là : Palestiniens des comités populaires pour la lutte non-violente, Israéliens contre le Mur, internationaux. Ils sont là pour dire « non » à la colonisation et à l’occupation, quelle que soit la riposte des forces de l’armée occupante, les grenades lacrymogènes et assourdissantes, les tirs à balles d’acier, caoutchoutées ou à balles réelles, les lances à eaux polluées chimiquement, bastonnage avec arrestations, emprisonnements, blessés, handicapés gravement, tués. Il y a, d’autre part, du côté des opprimés, des injures et des jets de pierres, des grenades renvoyées et des leaders du village qui sont au premier rang pour empêcher tout débordement. Pour mettre fin à la dissidence, l’armée israélienne cible les leaders des comités populaires et les emprisonnent.

Premier jour de la sixième conférence de Bil’in.

Nous sommes 400 environ sous une toile tendue au-dessus de la cour de l’école.

C’est Abdallah Abu Rama, l’un des meneurs du village qui présente l’entrée de la Conférence. Cet homme jeune, père de 3 enfants récemment sorti de 16 mois de prison, remercie pour le soutien et l’aide reçu pour sa libération :

« Nous demandons à tous les partis politiques palestiniens et aux organisations de la société civile de se fédérer à la lutte populaire non-violente pour la libération. »

On comprendra ici que la base invite la communauté nationale et internationale et les représentants israéliens à s’unifier derrière ce moyen de lutte, ainsi qu’à approuver Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS).

La conférence était dédiée à des militants tués : Rachel Corrie (2003), Vittorio Arrigoni (2011), Bassem Abu Rahma et Jawaher (2009 et 2011) et Juliano Mer-Khamis (2011).

C’est le Premier ministre palestinien, Salam Fayyad, qui ouvre la séance. Sont présents à la tribune tous les partis politiques.

Il nous fait la primeur de leur décision de former un gouvernement intérimaire uni jusqu’aux élections présidentielles et législatives d’ici un an. Il a appelé la communauté internationale à promouvoir l’autodétermination palestinienne, en disant que « la communauté internationale doit être résolue à promouvoir un État palestinien dans les frontières de 1967 et à soutenir la déclaration de son indépendance en septembre à l’ONU ».

Il a également appelé la communauté internationale à protéger et sauvegarder la résistance palestinienne non-violente. Il a plus particulièrement visé l’arrestation récente de Bassem et Naji Tamimi du comité populaire de Nabi Saleh et le soutien à leur apporter.

Cindy Corrie, la mère de Rachel Corrie assassinée, de l’International Solidarity Movement, a parlé de la tragédie que connaissent toutes les mères, au cours de ce conflit aussi bien israéliennes que palestiniennes. Elle a demandé à la société civile des deux côtés d’adopter des tactiques non-violentes.

Cindy Corrie avec deux autres mères endeuillées.

Plus de vingt diplomates du monde entier ont assisté à l’ouverture, y compris Maxwell Gaylard, coordonnateur spécial adjoint des Nations unies pour le processus de paix au Moyen Orient, Christian Berger, représentant de la Commission européenne, et les consuls généraux d’Espagne, de Grande-Bretagne, d’Italie, de Belgique, de Roumanie , de Pologne et d’Autriche. Les États-Unis, la France, la Suède, l’Allemagne, la République tchèque, la Hongrie et l’Irlande ont envoyé des délégués de la représentation diplomatique.

Dans une vidéo-conférence, en direct à partir du port de Gaza, Jaber Wishah, du Centre palestinien pour les droits de l’homme à Gaza, a annoncé le lancement d’une équipe de la paix maritime qui accompagnera les pêcheurs de Gaza et fera des rapports sur les violations des droits de l’homme dans le cadre de la Mission de Service civil de paix-Gaza. Le projet est soutenu par plus de 50 organisations internationales et locales, y compris la coordination du Comité populaire. Voir le lancement du bateau en direct était une joie notamment pour la délégation italienne qui venait de perdre Vittorio assassiné. Il était un soutien de cette œuvre sur le terrain depuis un an. La parole que l’on retient de lui est : « Restiamo Umani ». Ce sont eux les pêcheurs sans eaux. Les accords d’Oslo leur laissaient 20 miles d’eaux navigables. Les Israéliens les limitent à 3 miles. Les pêcheurs sont harcelés à longueur de temps par des tirs sur leurs frêles embarcations. Ils n’ont plus de quoi nourrir leur famille de la pêche.

La foule s’est inspirée du climat de révolutions démocratiques qui a balayé le monde arabe. Tout au long de la semaine, les dirigeants de la base des comités de lutte populaire ont partagé leurs besoins et les stratégies, qu’ils soient bédouins, paysans ou citadins, en soulignant le rôle des femmes et la dynamique socio-politique des révolutions tunisiennes et égyptiennes qui sont applicables à la Palestine. Des militants de la lutte populaire palestinienne ont transmis leur engagement indéfectible à la résistance et pour des approches novatrices à l’empiètement croissant des colonies, le Mur de l’Apartheid, et la répression.

Les danseurs de debkas.

Des militants égyptiens ont fièrement souligné que leur révolution était profondément enracinée et inspirée par la lutte populaire palestinienne. Ils ont développé la plénitude des ressources, la créativité et, surtout, l’engagement incessant du peuple palestinien dans leur résistance au régime oppressif israélien.

Chaque pause fut l’occasion de belles rencontres par exemple avec les Israéliens « Anarchists against the wall ». Le service de thé à la menthe et à la sauge, la vente de broderie, le service du repas de midi, les reportages photos, le service d’ordre étaient sous la responsabilité des enfants et des ados.

La fête eut sa place avec les chanteurs-poètes militants accompagnés de l’oud traditionnel et les fiers danseurs de debkas, ils ont enflammé la foule palestinienne. Une très petite a chanté de sa voix flûtée tandis qu’une autre a déclamé un long poème avec fougue.

La conférence s’est conclue par une manifestation pacifique organisée par les délégués et les habitants de Bil’in. Israël a répondu immédiatement par son habituelle répression militaire agressive entraînant 15 blessés, dont 3 militants internationaux et un journaliste.
Quatre manifestants ont été arrêtés, dont trois étaient des militants des droits de l’homme internationaux.

Accords obtenus au cours de la conférence.

1. Renforcer et améliorer la coordination de la société civile palestinienne travaillant pour la résistance populaire non-violente.

a) Célébration en avril prochain 2012, la septième Conférence internationale de Bil’in pour la résistance populaire.

b) Création d’un comité chargé de suivre l’organisation d’une Conférence nationale sur la résistance populaire non-violente. Le but est d’améliorer la coordination de la société civile palestinienne mobilisée pour le changement. Un comité de trois sera en charge de la coordination avec d’autres représentants de la société civile afin de célébrer la Conférence nationale avant le prochain octobre 2011.

2. Aide internationale pour raffermir la résistance palestinienne populaire non-violente.

a) Approbation de CPSGAZA (Un Service civil de paix pour la surveillance des eaux territoriales et la surveillance des droits de l’homme, www.cpsgaza.org). Nous nous sommes entendus sur :

 Renforcer nos efforts pour recruter davantage de soutien.
 Établir une structure de collecte de fonds.
 Diffuser et promouvoir des campagnes de sensibilisation.
 Recruter des observateurs internationaux et les professionnels formés à se joindre à cpsgaza.

b) Soutenir les caravanes italiennes pour l’eau de la Cisjordanie en septembre prochain. Les participants ont insisté sur la nécessité de planifier des événements semblables et des campagnes et sur la nécessité de relier ces activités avec les activités de boycott international vers Mikorot, la société israélienne des eaux, responsable de plusieurs violations du droit international dans le territoire palestinien occupé.

c) Renforcer le Réseau international pour la résistance palestinienne non-violente (www.internationalpopularstruggle.org) et le démarrage d’une campagne internationale de solidarité avec les prisonniers de la lutte populaire.

d) Approuver le imgument « Kairos » (www.kairospalestine.ps).

e) Approuver le Mouvement d’une flottille de la liberté, départ juin 2011, et continuer le travail pour faire reconnaître la responsabilité de l’armée israélienne dans l’attaque de la dernière flottille de juin 2010.

3. Soutenir Boycott, Désinvestissement et Sanctions contre Israël. Appuyer BDS, sur la base de 2005 à l’appel de la société civile palestinienne, le moyen le plus efficace de solidarité avec les Palestiniens.

a) Respecter tous les droits du peuple palestinien dans les campagnes de solidarité avec la Palestine.

b) Promouvoir les résultats des sessions du Tribunal Russell sur la Palestine qui a eu lieu à Barcelone et à Londres, et la promotion de la prochaine session en Afrique du Sud sur l’applicabilité du crime d’apartheid en Israël.

c) Soutenir, développer et promouvoir la campagne Agrexco, y compris une action en justice contre Agrexco, campagne très importante dans le mouvement BDS.

d) Se coordonner entre militants du BDS dans le monde entier. Encourager les militants à rejoindre les listes d’e-mail de coordination (boycott culturel, le FNJ, faire dérailler Veolia, arrêtez Agrexo, Armstrade, Elbit), et développer de nouveaux mécanismes de coordination en cas de besoin.

Comment être désespérée par le flux des nouvelles sombres qui arrivent par les médias ou par ce que j’ai vu, alors que beaucoup de Palestiniens ne le sont pas et que des Israéliens s’émeuvent de cette situation d’oppression, d’exclusion, de démolition, de « judéification » (Jérusalem).

Le printemps palestinien est à venir. S’il vient ce sera pour une paix
juste et durable à l’honneur des deux partis.

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