Réfractaires non-violents à la guerre d’Algérie
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Annexes 1961 : Lettre d’Henri Cheyrouze au ministre des Armées
Article mis en ligne le 6 mars 2011
dernière modification le 15 février 2014

par A.B.

Monsieur le ministre,

Depuis juillet 1959, date à laquelle je fus convoqué pour accomplir mon soi-disant « devoir » militaire, nous nous battons, ma femme et moi, pour qu’il soit autorisé aux objecteurs de conscience, et, en l’occurrence, à moi, d’effectuer un service civil, en attendant d’abord que chaque jeune puisse choisir : service civil ou service militaire, et ensuite que le service militaire disparaisse complètement.

Condamné une première fois, en mars 1960, à dix-huit mois de prison, puis libéré (je n’avais effectué que six mois sur ces dix-huit mois) et réincarcéré quinze jours après, je fus à nouveau condamné en juillet 1960 à deux ans de prison.

[...]

Nous avions tenté de mobiliser, grâce à quelques petites campagnes de presse et aux démarches de certaines personnalités, l’opinion publique et certains organismes d’État autour du nom d’Henri Cheyrouze, en espérant qu’on voudrait plus voir le problème qu’il représentait que l’homme qu’il était. Cela ne s’est pas fait. Il est effectivement plus facile de dire : « Ayez pitié de ce pauvre gars qui crève de faim dans sa cellule... » que : « Autorisez tous les objecteurs de conscience à effectuer un service civil... » ; on sensibilise plus facilement l’opinion et en particulier les « bonnes âmes » sur une situation personnelle que sur un problème général.

On ne voyait, ceux du moins qui acceptaient de voir quelque chose, qu’Henri Cheyrouze, sa femme, leur gosse et on oubliait les autres couples qui se trouvaient dans leur cas ou allaient s’y retrouver, et les raisons pour lesquelles tous acceptaient ces souffrances. Alors que nous pensions « service civil », on disait « pauvre Henri dans sa prison » ; c’était fabriquer une espèce de faux héros, et, comme nous haïssons le culte du héros, vrai ou faux, nous décidâmes de rester tranquilles un certain temps, attendant de trouver de nouvelles formes de combat. C’est une des raisons pour lesquelles nous sommes restés silencieux et discrets depuis novembre 1960 jusqu’à maintenant.

Au début de 1960, de jeunes gars et filles, sensibilisés aux problèmes de la non-violence par la guerre d’Algérie, aidés par des adultes mobilisés par la lutte contre les camps de concentration français, décidèrent non plus de réclamer un service civil, mais de le créer ; un pas de plus, un pas immense était ainsi fait. C’est de cette façon, schématisée, que naquirent l’Action civique non violente et ses chantiers de service civil.

Tout en sympathisant beaucoup avec eux, nous ne nous engagions pas formellement dans leur équipe, attendant « pour voir » ; de plus, après avoir mené, à notre niveau, un petit travail de pionniers dans une sorte de solitude, il nous devenait difficile de participer, tout de go, à une action d’équipe ; et pourtant nous sentions profondément en nous ce besoin du travail en commun.

Actuellement, leur équipe est solide, homogène, dynamique ; leur forme de combat (création et revendication allant de pair) est neuve et sur beaucoup de points efficace ; pas de culte du « martyr » chez eux, chacun se trouvant, à sa manière et selon ses moyens ou les circonstances, « dans le coup » ; un gars quitte le chantier pour la prison, sa femme continue la lutte, il revient de prison, il reprend le combat avec elle ; une fille part en prison, etc.

C’est dire si actuellement nous nous sentons, ma femme et moi, en communauté de cœur, d’idées, de situation avec eux. C’est pour cela que nous avons décidé de devenir membres de cette Action civique non violente ; acceptant naturellement et faisant nôtres pleinement les règles qui régissent cette communauté et en particulier le refus d’une solution individuelle à un problème qui se pose collectivement.

(Lettre, datée du 25 septembre 1961, publiée dans le journal de l’ACNV, n° 11 [troisième trimestre 1961])

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