Réfractaires non-violents à la guerre d’Algérie
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2008 La troisième conférence
Article mis en ligne le 21 septembre 2010
dernière modification le 17 décembre 2013

par A.B.

4,5,6 juin :"Résister pour exister"

J’ai participé à la troisième conférence internationale sur la lutte populaire non violente de Bil’in, en Palestine, les 4, 5 et 6 juin 2008, destinée à étendre la lutte populaire non-violente, resserrer les liens avec les mouvements internationaux de solidarité et trouver de nouvelles voies pour renforcer et soutenir la lutte populaire. Bil’in est d’ailleurs devenu un symbole en Palestine pour sa resistance par des moyens non-violents.

Il convient d’abord de rappeler qu’au mois de février 2008, cela faisait trois ans que les habitants de Bil’in, village de 1600 habitants situé à l’ouest de Ramallah, luttent au quotidien contre la construction du mur d’apartheid qui traverse le village et annexe près de 60 % des terres afin de permettre l’extension de la colonie de Modi’in Illit qui compte déjà 35 000 habitants avec un objectif de 150 000 habitants pour 2020, selon les projets du ministère du Logement israélien. Ils manifestent, en outre, chaque vendredi, accompagnés d’Israéliens anti-colonialistes et de militants du monde entier. En utilisant des méthodes non-violentes, souvent spectaculaires et imaginatives. Et tous les vendredis, ils subissent les violences de l’armée d’occupation israélienne (à ce jour, plus de 1000 blessés – plus de 200 Palestiniens et 100 internationaux arrêtés) qui répond régulièrement avec des grenades lacrymogènes, des bombes sonores, des matraques, des balles en caoutchouc, des jets d’eau polluée (août 2008) et même des balles réelles. Certes, statuant sur la demande faite par le Comité populaire de Bil’in, la Cour suprême d’Israël, par décision du 4 septembre 2007, a ordonné de modifier le tracé du mur, restituant ainsi une partie des terres du village (environ 50 %) et légalisant, concomitamment les constructions illégales déjà effectuées. Le 26 mai 2008, cette décision n’était toujours pas exécutée et des colons ont installé des caravanes sur les terres devant être restituées, sous la protection de l’armée et malgré la résistance des habitants de Bil’in. Ce n’est qu’au mois de juillet que, sur injonction de la Cour suprême, il a enfin été présenté un tracé alternatif du mur permettant la restitution de...10 % des terres confisquées. Sur la protestation des intéressés, par décision du 3 août 2008, la Cour suprême a constaté que ce tracé procédait d’une violation de l’arrêt qu’elle avait précédemment rendu et a donné 45 jours à l’Etat israélien pour en présenter un nouveau....

C’est dans ce contexte qu’était donc organisée cette troisième Conférence annuelle qui a réuni, cette année, plus de 300 participants dont beaucoup de militants du monde entiers (France – dont 30 militants de l’AFPS – Italie, Espagne, Allemagne, Angleterre, Canada, Irlande, Grèce, Suisse, Etats-Unis, Pays-Bas, etc.). Il y a lieu de souligner, à cet égard, comme les années précédentes, la remarquable organisation de cette conférence qui a permis à ce village d’absorber des centaines de personnes, sans aucune infrastructure. Nous étions logés chez les habitants (qui nous ont fait un accueil chaleureux et nous ont assumés malgré la précarité de leur situation), avec un repas collectif le midi et un repas partagé, le soir, chez nos hôtes. La Conférence se tenait sous une tente dressée dans la cour d’une école et il y était même prévu des traductions simultanées avec des casques.

La première journée de la Conférence a été ouverte par le Premier ministre Salam Fayyad, représentant le président Mahmoud Abbas. Etaient représentés ensuite à la tribune tous les partis politiques (hors Hamas, invité mais qui n’avait pas répondu : Fatah, FEDA, Al Mubadharra, PFDP, PPP, PFLP), ce qui constituait déjà, en soi, un événement politique important par la reconnaissance de l’importance politique de la lutte du village de Bil’in. Ont été affichés une volonté unanime d’unité nationale et le soutien aux luttes populaires, un consensus se dégageant pour le choix d’une stratégie non-violente.

Synthétisant les différentes interventions faites par les représentants de ces partis politiques, Bernard Ravenel (président de l’AFPS), relève que ce choix s’appuie sur plusieurs raison à savoir l’absence de crédibilité (et j’ajouterai d’ efficacité) de l’option militaire, le fait que cette stratégie permette la participation de toute la société pour déterminer les modalités et les objectifs de l’action, préfigurant et construisant ainsi une société et un Etat démocratiques, qu’elle constitue le moyen le plus puissant de réaliser l’unité nationale et ainsi d’éviter la guerre fratricide et la militarisation anti-démocratique de la société, qu’elle permette et ait déjà permis un soutien politique international, y compris en Israël et qu’elle mette ainsi l’ennemi en position politiquement difficile, ce qui devrait l’obliger à un certain moment à reculer et à négocier (voir « le Modèle Bil’in » france-palestine.org/article9251.html ).

Luisa Morghantini (députée italienne au Parlement européen), Mairead Maguire (Irlandaise, prix Nobel de la Paix), Michel Warchawski (journaliste israélien, militant anti-colonial et fondateur du Centre d’information Alternative Palestino-Israélien), Bernard Ravenel (président de l’Association France-Palestine Solidarité, AFPS) et autres représentants des délégations internationales (Italie, Espagne, Allemagne, Angleterre, Canada, Irlande, Grèce, Suisse, Etats-Unis et Pays-Bas) ainsi que des représentants de différents comités de lutte populaire non-violence sont intervenus tout au long de la journée et ont permis une discussion ouverte et riche. Un message de Nelson Mandela a été lu. L’ancien président des Etats-Unis, Jimmy Carter, a adressé une lettre aux participants qui a été lue publiquement. La conférence a également reçu un message vidéo de soutien de l’ancien directeur général de l’UNESCO, Federico Mayor Zaragoza.

La deuxième journée de la Conférence était consacrée à des visites de solidarité avec des villages palestiniens en lutte et nous étions divisés en quatre groupes dirigés vers le Nord (Qalqilya et Tulkarem), le Sud (Bethléem et Hébron) Jérusalem et la vallée du Jourdain, visites qui ont permis de constater l’enfermement et l’isolement dans lequel sont maintenus, dans un total arbitraire, les villes et villages de Palestine de par la construction du mur, villages dont certains se trouvent enclavés dans des colonies israéliennes, la confiscation des terres et l’asphyxie économique en résultant. Dans la vallée du Jourdain, par la confiscation des terres, la démolition des maisons et des infrastructures palestiniennes, la privation d’eau et d’électricité, les Israéliens cherchent à obtenir le départ des Palestiniens vers la Jordanie afin d’avoir une emprise totale sur l’approvisionnement de l’eau, les terres cultivables et la frontière. A ce jour, les Palestiniens ne disposent plus que de 5,62 % du territoire (135 km2) tandis que 94,37 % sont sous contrôle israélien (2265 km2). De fait la population palestinienne y est passée de 250 000 en 1967 à 50 000.

La misère y est extrême comme la solitude des Palestiniens qui se maintiennent dans des enclaves désolées, formant un terrible contraste avec la luxuriance de la végétation des colonies israéliennes environnantes, Palestiniens qui résistent dans cet endroit avec la volonté farouche d’y demeurer, par la reconstruction de leurs maisons détruites en retournant aux techniques anciennes de construction en briques de terre et l’obstination à maintenir une école pour instruire leurs enfants , quels que soient les obstacles , cette instruction étant essentielle pour eux
(v. www.jordanvalleysolidarity.org). Voir aussi Visites des villages

Le moment marquant de la troisième journée était évidemment la manifestation hebdomadaire non-violente. Nous avons pu aller jusqu’à la « barrière » (en barbelés, en attendant l’édification du mur. C’est la première fois que je pouvais l’atteindre en trois participations) où nous a été lue la déclaration de clôture de la Conférence. La patience des soldats israéliens qui nous attendaient a cependant des limites (!) et la répression s’est engagée avec sa violence habituelle, avec une arme nouvelle, cependant, permettant le lancer simultané de trente grenades lacrymogènes à la fois qui arrosent tout le terrain à la façon d’un parapluie. Deux blessés, un juge italien touché à la tête et un membre du Comité brûlé à la main. Les gaz que nous avons respirés étaient infiniment plus agressifs que tout ce que j’ai pu respirer jusqu’alors (suffocation et brûlure des poumons mais le Croissant rouge a un antidote efficace !).

La répression a été plus terrible la semaine suivante, sans doute en mesure de rétorsion à cette manifestation internationale, par l’utilisation de balles réelles dont trois, le 13 juin 2008, ont atteint l’un de nos amis, Ibrahim Burnat, à la jambe (notamment à l’artère) dont on ne sait s’il retrouvera l’usage, sachant que son frère aîné, Rani, est déjà paraplégique par suite d’une blessure à la moelle épinière causée par un sniper israélien. Il n’est pas sans intérêt de rappeler ici que le 29 juillet 2008, lors d’une manifestation de protestation à Nil’in, village proche de Bil’in, qui lutte également contre la construction du mur qui doit le traverser, un garçon de 12 ans a ainsi été tué.

Il y aurait encore tant à dire sur la résistance populaire non-violente de ce peuple dont la vitalité et la dignité sont remarquables ! « Peuple victime de l’occupation, de la colonisation et des pratiques racistes mais qui a confiance en son humanisme et qui résiste sans perdre de vue l’essentiel, à savoir que son aube viendra certainement un jour » (Mohamed Ilias du Comité d’organisation de la Conférence de Bil’in). La devise des Palestiniens de la vallée du Jourdain est « Résister pour exister ».

G.C.

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