Doit-on craindre, pour ceux qui préconisent un nouveau « service civil obligatoire » un fiasco au moins équivalent à celui qui a valu à la loi promulguée il y a tout juste quelques mois une abrogation solennelle, après un vote unanime ?
Que veulent ces citoyens et ces parlementaires apparemment bien intentionnés ? Ils disent souhaiter un « service fondé sur la mise en œuvre de l’idée de fraternité et de solidarité » ?
Même si l’on approuve sans réserve la nécessité d’une pédagogie de la solidarité, il est permis de s’interroger sur la crédibilité d’un tel projet en l’absence de tout moyen préconisé pour le mettre en œuvre, et de se demander s’il ne serait pas préférable de faire appel au bon sens et à la sagesse de nos compatriotes plutôt qu’à un passé révolu, de rappeler aussi que le fond est souvent trahi par la forme et la fin par les moyens.
Ces signataires ont-ils en effet réfléchi aux modalités d’application de ce /service/ renouvelé et à leurs conséquences dans les temps actuels, comme aux impossibilités de sa réalisation concrète ?
Les jeunes femmes et hommes de notre pays seraient donc, et seuls en Europe, astreints à un /service civil obligatoire/, dans l’esprit d’obéissance d’autrefois : de quelle durée ? dans quelles conditions ? sous quelles autorités ? avec quelles missions ? dans quelles /casernes/ ou lieux d’hébergement ? avec quelles rémunérations ? et enfin avec quelle motivation supérieure ?
Et qui en serait éventuellement exempté : le jeune en situation déjà précaire d’emploi, en cours d’études, apprenti, en situation de mère ou de père de famille, en grande difficulté sociale, etc. ?
Que prévoient-ils de faire surtout, ces citoyens et parlementaires, de celles et de ceux qui /désobéiraient/ ?
Car il ne suffit pas de proclamer à juste titre que « l’argent ne peut en aucun cas se substituer à cette contribution » pour empêcher les « refus d’obéissance ».
Quelles seront alors les infractions punissables : de nouveau /l’insoumission, la désertion, le refus d’obéissance ?/ Par manque d’imagination, reviendra-t-on aux peines traditionnelles d’emprisonnement pour sanctionner ces transgressions d’un nouveau genre ?
Verrons-nous resurgir ces périodes de démoralisation de la jeunesse qui nous ont valu un peu partout en France des prisons pleines de jeunes réfractaires de 20 ans ?
Après le vote de la loi de 1963 sur l’objection de conscience, d’autres difficultés commencèrent lorsque certains refusèrent l’alternative imposée entre un service militaire ou un service civil de double durée.
Les juges d’alors, imperturbables, continuèrent à faire appliquer du même Code du justice militaire et à prononcer les mêmes peines, bien qu’aucun texte fixant de nouvelles infractions et leurs sanctions n’eût jamais été rédigé...
À mon sens, le seul /service/ aujourd’hui possible et juste ne peut être que /civil, volontaire et international./
Être réaliste, c’est faire de nouveaux choix et non s’obstiner à creuser les ornières du passé.
Jean-Jacques de Félice, avocat
6 février 2006
J.-J. de Félice est décédé en 2008, voir sa notice nécrologique